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09/02/2011



EN REVUES ET ANTHOLOGIES

JE NE SAIS L'ALGÉRIE QUE D'OREILLE

IN COPULEURS SOLIDES ED MARSA 2002

JE NE SAIS L'ALGERIE QUE D'OREILLE

in COULEURS SOLIDES Ed. Marsa




JE NE SAIS L'ALGÉRIE QUE D'OREILLE
Le ouïe dire oscille entre le glacis de l'actualité et l'intimité de mes amis et amies qui en viennent, entre le dépeuplement de la parole - images et mots exsangues plus morts que les morts retués en direct sur l'écran - entre d'autres cadavres, la dernière collection de couture et le score de la coupe de foot, entre ce lointain de l'image et de la langue sous verre plus lointain que la distance de mers ou de ciel traversés et l'intimité des voix amies qui rendent étrangement familiers paysages, sons, histoires communes, douleurs de vies à mesure d'elles-même, entre le bavardage de la conciergerie planétaire et ce chant lointain de ceux qui se souviennent, toujours chant d'une langue, d'une terre qui dessine les silhouettes nerveuses et émaciées de ceux que je ne connais pas, ramenant à mes yeux des fragments qu'à peine j'imagine et sans doute sans rapport avec le réel mais plus réels que les reflets de l'écran, j'entends le nom.
Ce sont images d'oreille et non d'oeil.
Je connais l'Algérie du ouïe dire de ses exilés et de ses poètes.

Cette histoire d'oreille rythme ma vie depuis son origine d'une scansion ténue mais tenace qui n'a pas part directe avec moi et à laquelle pourtant j'ai part comme à l'Histoire dont je suis un piéton anonyme, comme aussi à une histoire familiale, une histoire d'enfance.
Je n'ai nul parent venu de là-bas. Nul des miens n'y combattit. Mais les miens prirent parti.
Je suis née d'une de ces familles libertaires pour lesquelles l'engagement était quotidien et d'une clarté d'évidence dont je n'ai mesuré la portée qu'au fur et à mesure de ma vie. Au fur et à mesure de mes propres "non" qui reprenaient les leurs. Je suis issue d'une famille simple qui disait non.
Bien plus que de ce que j'ai appris, lu et fait par la suite, d'eux me vient ce non irréductible qui veillait à minuit dans le siècle dans l'immédiateté des actes plus que des mots. Ils avaient été exilés, résistants, syndicalistes, militants. Ils en disaient peu. Ils faisaient et je les ai vus faire.
Il me reste de cela des bribes d'anecdotes, des esquisses de silhouettes, des éclats de mots suspendus en arrêt sur un visage dont je revois le regard ou la moue.

L'Algérie plonge sa racine au plus profond de ma petite enfance sous le nom de "guerre d'Algérie". A cette guerre là c'était « non » et je me souviens d'adultes inscrivant en rouge sur un mur en bas de la colline où nous habitions un "vive l'Algérie algérienne" recouvrant les lettres noires du sigle OAS.
Je me souviens que c'est tragique l'histoire. Le reste je le saurai plus tard. Mais la banderole suspendue au dessus du pont date de cette époque. Un grand oriflamme blanc traversait au matin l'autoroute à la gloire de la liberté des peuples. Je me souviens d'un homme suspendu comme un singe aux piliers du ponton, de femmes tendant le pot de peinture et le pinceau.
Ils firent tous, ceux là, sans doute autre chose, sans doute manifestèrent, signèrent pétitions, je ne sais pas.
J'étais enfant et c'est une limaille d'enfance qu'aimante un nom
Après j'ai su mais le savoir d'après est d'autre sorte, d'Histoire plus que de mon histoire, de convictions plus que de souvenirs.
J'ai vu barbouiller les murs et coller des affiches où j'avais colorié les lettres du mot Algérie avec une perplexité d'enfance qui me revient. Pourquoi fallait-il préciser algérienne puisque c'était l'Algérie?
- L'histoire est simple et compliquée à la fois. Tu verras.
J'ai vu. Déjà j'entrevoyais. Même sans savoir.
Il y avait beaucoup de choses compliquées pour l'enfant. Il y avait ceux d'ici et ceux qui venaient de là-bas dont les uns étaient Algériens, les autres Français, les autres Algériens Français, il y avait les Fellagahs, les Pieds-noirs, les Harkis, des noms que j'entendais alors comme ceux des tribus indiennes de bandes dessinées au milieu d'autres Pieds-noirs, Hurons, Iroquois, Cheyennes ou Apaches.
On m'expliquait. Non ça n'était pas la même chose quoique la colonisation, l'expansion économique, le..., mais cela commence déjà à être plus tard quand les choses se distinguent et se relient, quand commence leur lecture.
Au tout début, je ne sais pas encore lire sauf les grandes lettres majuscules des banderoles et de ce que signifient les mots je n'ai connaissance que par quelques visages familiers à mesure d'un périmètre de jambes d'enfant.
J'avais seulement compris qu'il fallait se méfier des pluriels. Je l'avais compris très tôt. Les algériens, les pied-noirs, les hurons, les hommes, les femmes, les noirs, les juifs, les arabes, il fallait se méfier quand une phrase commençait ainsi. C'était comme une première règle de grammaire. Je ne sais pas comment ils me l'ont apprise ou comment je l'ai saisie mais je l'ai retenue aussitôt. Une phrase qui débutait de cette manière avait beaucoup de risques de tourner mal, de tourner au drame, d'avoir bientôt partie liée avec la mort. Il fallait s'en méfier, regarder de près, de très près.
- J'ai combattu une idéologie pas un peuple, disait le père.
Et puis aussi:
-Tous les hommes sont capables du pire.
Et puis:
- Chez nous il n'y a ni boches ni bougnouls ni youpins ni ritals. Ne parle jamais comme ça.
Pourquoi? C'était des mots que j'entendais dehors et que je ramenais parfois à la maison. Pourquoi ne fallait-il pas? Aujourd'hui je saurais répondre, mais que m'ont-ils répondu à l'époque les miens?
J'ai oublié. Ils n'ont ni grondé ni puni. Ce n'était pas dans leurs manières. Ils ont peut-être dit à l'enfant "ce sont gens comme nous tous" ou bien...Ou bien quoi encore?
Je revoie seulement la grand-mère tempêter "ça n'est pas beau!" d'un ton qui ne souffrait aucune réplique mais avec une telle grimace que l'enfant a ri. Elle avait repris sérieuse en secouant ma main:
- Ecoute un peu ce que je te dis! C'est pas beau de dire des choses comme ça. On ne doit pas. Jamais. Tu entends. Personne jamais.
Ils ont peut-être dit... Ils ont surtout raconté des histoires et fait des choses comme celles des banderoles ou de la maisondesarabes que j'entendais en un seul mot sans comprendre ce qu'il signifiait sauf qu'à l'école il se disait à voix basse de passer loin de la maisondesarabes parce que c'était dangereux.
Alors l'enfant que j'étais faisait un grand détour sous le pont où avait été suspendue la banderole pour éviter l'escalier longeant la maisondesarabes.
- Mais voyons, qu'est-ce que tu as compris? De quoi as-tu peur?
Le père a pris l'enfant par la main et l'a amenée dans la maisondesarabes cachée au fond d'un parc broussailleux qui sentait la glycine et le romarin.
L'enfant ne savait à l'époque ni ce que faisaient ses parents ni comment ils connaissaient les Algériens de la maisondesarabes mais ça n'avait aucune importance. Dans la maisondesarabes, à quatre heures de l'après-midi, il y avait simplement des enfants et des femmes riant en langue étrangère qui ont donné à la fillette des gâteaux très sucrés, dont une sorte de petite raquette orange craquant sous la dent en laissant couler un miel épais sous la langue et un dôme blanc au goût inconnu de pistache et de dattes.
La maisondesarabes est devenue la maisondesgâteauxaumiel et les mots Algérie algérienne suspendus au dessus du pont ont pris une saveur de gourmandise et une couleur d'étoffe à broderies dorées.
Je ne sais plus ce que pouvait comprendre et penser l'enfant que je fus. Je me rappelle que les Pieds-noirs apportaient parfois les mêmes pâtisseries en classe, que je ne faisais plus de détour par le chemin du pont, qu'entre la guerre, lesmotspasbeaux, les friandises au miel, les pendentifs avec deux empreintes de pieds que des camarades portaient au cou, la croix du sud qu'une vieille femme de la maisondesarabes aux yeux plissés et aux pommettes hautes avait donnée à l'enfant pour lui porter bonheur, les inscriptions sur les murs, le mots de la radio que la grand-mère écoutait tous les soir à sept heures en marmonnant des commentaires difficiles à comprendre où revenaient dans sa bouche de paysanne toutes sortes de malédictions en français et en patois contre les saloperiesdeguerre, entre tout cela, le mot Algérie avait fini par rassembler autour de lui un faisceau d'inconnu, de craintes et de fascinations qui ressemblaient à la vie.
- C'est difficile la vie. C'est terrible. C'est beau aussi. Tu verras. C'est très beau aussi, disait la mère en penchant vers l'enfant son visage souriant.
Et puis le père:
- Fais attention ma fille. Il faudra faire marcher ta cervelle. Les choses ne sont jamais simples. Même si on doit prendre parti.
Les miens avaient le sens de la responsabilité et celui de la nuance, termes qu'ils n'auraient eux-mêmes jamais songé à employer. Ils avaient combattu Hitler à cause des camps puis Staline à cause d'autres camps. Ils étaient inconditionnellement pour l'Algérie algérienne et pour toutes les révoltes mais déploraient que les peuples voient si souvent leurs espoirs confisqués.
- Ils se font bel et bien berner les peuples! grommelait plus trivialement la grand-mère.
Le père objectait que ce serait facile si on pouvait diviser les bons et les méchants une fois pour toutes.
La mère racontait comment l'aïeule florentine ravaudait des sacs en récitant Dante, emmenait la fillette chez le grand-père italien et chez ses amies d'enfance arméniennes et déclarait d'un ton déterminé qu'adoucissait son regard rieur toujours voilé d'une légère ombre grave:
- Dans un trou de souris, je passerais s'il fallait nourrir mon enfant! C'est pareil pour tous et c'est normal!
L'enfant pouffait dans sa main en imaginant sa mère, même mince comme elle était, se faufilant dans un trou de souris, lisait les contesdumondeentier, les histoire d'Ulysse, Jonas et Shéhérazade.

Je ne savais pas très bien où était l'Algérie où avait lieu cette "sale guerre". Je savais seulement que Bernard B. qui passait parfois à la maison était d'Oran comme Kamel L. qui y venait aussi.
Je ne connaissais pas l'Algérie. J'étais enfant.
Le mot disait simplement que c'était compliqué les choses et qu'il fallait, comme répétait le père, être très vigilant parce que la barbarie n'avait pas de patrie sauf dans chacun quand on la réveille, et je ne comprenais pas exactement ce qu'il voulait dire.
Il y avait de la violence, un goût âcre de miel sauvage, des images de murs très blancs où se reflétait le soleil au point qu'on ne puisse pas les regarder sans cligner des yeux ou sans mettre des lunettes noires, il y avait la même mer.
- Mais oui bien sûr. C'est de l'autre côté de la Méditerranée. Regarde la carte.
Sur la carte, les pays de teintes différentes formaient un puzzle de pastilles biscornues entre le bleu continu de la mer et des océans.
- Mais alors c'est partout la même mer...
-C'est la même eau, mais...
J'écoutais la même eau épeler ses noms différents à la surface de la terre morcelée de couleurs .
C'est là que j'ai commencé à préférer la mer parce qu'elle est une, mais l'enfant aimait surtout le bleu si vaste, facile à repérer et à suivre du doigt sans avoir à s'arrêter aux frontières, ce qui fait perdre du temps surtout quand elles ne longent même pas des montagnes mais ne sont que des pointillés au milieu des déserts jaunes ou des taches vertes des forêts et des savanes sur les cartes du relief où il n'y avait plus les noms des pays mais seulement des montagnes, des plaines et des fleuves.
Les cartes aussi étaient compliquées.
Dans l'Algérie il y avait le Sahara mais tout le Sahara n'était pas en Algérie où il y avait des Algériens mais aussi des Arabes et des Berbères qui étaient là avant l'Islam, des communautésjuives elles aussi en un seul mot jusqu'à ce que les mots se détachent et s'éclairent, et des Français venus sous Napoléon III, les uns de leur plein gré comme colons, les autres après la commune parce qu'ils étaient communards et qu'ils avaient été déportés outre-mer...
L'histoire était décidément compliquée pour l'enfant.
Et l'Algérie ce fut simplement l'Histoire qui traversait pour la première fois sa vie.

- Et ça charrie des morts l'histoire. Fillette. Tu verras, dit le père.
- Il y a aussi partout des gens qui s'aiment, ajoute la mère, des gens qui sont heureux de vivre et des enfants qui jouent comme toi.
On pouvait bien rêver que l'histoire ne soit pas ce qu'elle était, il n'y avait rien d'autre à faire que faire comme on peut comme on croit obstinément.
L'histoire pour la première fois comme une obstination têtue.
-Il n'y a pas de paradis, nulle part, ni avant ni après. Ce sont des boniments! vitupérait la grand-mère rétive à toute illusion et à toute croyance.
Il y a quoi alors?
- Il y a, il y a des choses qu'il faut faire et d'autres qu'il ne faut pas faire.
- Mais comment on sait? demande l'enfant.
- On sait. Tu verras. On sait toujours, mais parfois on a envie de faire semblant de ne pas savoir. Parce qu'il faut du courage.
- Et ça suffit?
- Non ça ne suffit pas. Mais tu comprendras plus tard.
Je ne sais pas si j'ai compris. Je n'ai nul mérite de celui des miens. Ils faisaient comme eux, ce qu'ils pouvaient avec ce qu'ils étaient, plus tard, j'ai fait de même, comme moi, ce que j'ai pu. Les choses se sont révélées à la fois simples - "il y a les exploiteurs et les exploités, les gros riches et les miséreux et c'est tout" ronchonnerait une fois de plus la grand-mère si elle vivait encore, faisant rouler les r dans sa langue bigarrée de paysanne férue de politique - et de plus en plus difficiles à simplifier. Je ne sais pas si je comprends. Mais il me reste quelque chose qui n'a que peu à faire avec la compréhension, qui est d'une autre nature plus irréductible, une sorte de "non" définitif, très vieux, très lointain.
Non, à toutes les formes d'asservissement, c'est non. De tous les côtés à la fois et en même temps, non. De n'importe quel côté, non. Là et là et là encore là non. L'humiliation non. La domination non. La misère non. Les femmes lapidées non. Les dogmes religieux ou laïques non. La mondialisation non. Les utopies meurtrières, non. Les "real politique", non. Je ne sais dire que non. Sans arrêt non. Avec si peu de oui à croire dans l'interstice...
Finalement non dans la langue. Le poème contre le dogme. L'insurrection toujours dans la langue contre la soumission de la parole. Mais ce n'est qu'une figure. Je le sais aussi.

Je ne suis jamais allée en Algérie.
Mon histoire n'a pas croisé la sienne mais nos Histoires se sont imbriquées.
Certains de mes amis en viennent et, en ce moment, en fuient aussi.
Je connais de vive oreille ses poètes.
J'assiste à ses massacres devant l'écran.
Comme beaucoup d'autres, j'en parle ou j'en écris quand je crois qu'il le faut mais cela est autre sorte de parole, une parole que j'accomplis par nécessité et avec persévérance mais à laquelle je ne souscris jamais absolument "parce que c'est à la fois simple et compliqué, tu verras".
Je ne sais pas si je le sais mais je sais l'épaisseur des corps sous le cutter de l'Histoire qui les divise et la vie comme une mer sous la frontière des mots.
Et la mort jamais d'une seule rive mais glissant des uns aux autres son témoin.
- Pourquoi se passent-ils la mort de mains en mains? aurait demandé l'enfant si elle avait parlé comme je parle.
Je ne suis plus une enfant. Je n'ai plus ce recours. Beaucoup des miens sont morts. Ils avaient des réponses simples et compliquées.
- Fais attention, ma fille. Les victimes peuvent aussi devenir des bourreaux. Et même de soi, il ne faut pas se vanter d'être sûr.
Après tant de temps, dans l'impuissance qui fait chavirer nos mots et nos actes, ce qui demeure, à la fois vain et têtu, c'est non. Recommencer, continuer à dire non. Stupidement, lucidement, stupidement, obstinément. Ficelés à la noria de l'Histoire.
Il y eut les rebelles qui se battaient pour la liberté et puis, au quai 12 du port les longues files de rapatriés qui avaient quitté un pays qu'ils ne reverraient plus, et puis les immigrés entassés dans des bidonvilles et des immeubles ressemblant aux clapiers de lapins du fond du jardin, et puis partout sans cesse des pauvres, des morts, des abandonnés et des oubliées, des violées, des lapidées, des torturés, des exécutés, des déchiquetés, des égorgés, des bombardés, des gazés, des enterrées vivantes, des brûlés vifs, des morts de faim, des mort pour rien.
Il y a l'Histoire et prises dans elle tant d'autres histoires comme celle d'une anonyme Soumya qui va inhumer son père dans les Aurès parce qu'il voulait reposer en sa terre, d'une anonyme Dalila dont le jeune frère fut assassiné d'une fenêtre du cinquième étage de la cité par un furieux décidé à "jeter les arabes à la mer", celle d'un anonyme Hakim de Béjaïa jouant de la batterie et dont je ne connais que le nom et la réputation de génial percussionniste, celle d'une Hanifa qui photographie les visages des exilés pour en retenir une trace de mémoire avant que tout sombre dans l'abîme, il y a celle d'une Leila dont Majnoun dit l'amour dans des mots que j'ai écrits, il y a celle d'une autre Leila morte éventrée par des intégristes, il y a celle d'Ali qui mange du saucisson, ne croit ni à dieu ni a diable et veut que ses filles réussissent polytechniques, il y a celle d'Ahmed qui ne sait que casser la gueule à tout ce qui bouge et vient de se retrouver en prison où il dit "c'est cool ici on fait du sport", il y a celle de Nora devenue professeur de littérature arabe à la Sorbonne depuis son exil, il y a celle de Sarah qui était mi juive mi arabe mi berbère mi française et qui écrivait des poèmes explosées et trop grandiloquents pour ceux qui n'étaient pas elle, mais c'est ainsi, elle n'avait pas d'autre histoire ni d'autre manière et on s'en fout au bout du compte des cénacles de poètes et si elle en faisait partie ou pas, il y a celle de Jasmina qui vit avec une femme et qui a dû changer de quartier pour ne pas que ses frères la découpent en menus morceaux de viande hachée, il y a celle de Soumya la chanteuse d'opéra dont la voix de soprano garde en veines d'ébène la trace de son aïeule noire esclave à Blida, il y a celle de Mustapha, plein de douceur et de sagesse qui récite par coeur les poèmes d'Al Maâri, celle d'un épicier de Tlemcen installé depuis vingt ans au pied des tours de la Défense à Paris, celle de Tahar le médecin berbère élevé sous une tente nomade et qui dit "ma vie, c'est dix siècles en dix ans", il y a celle de Latifa renvoyée de force au bled pour épouser quelqu'un dont elle ne voulait pas, qui vit en cage sous un voile et ne reverra jamais Asnières sur Seine où elle est née, il y a celle de Djéna qui est repartie vivre à Djurdjura avec celui qu'elle aime, il y a celle d'Areski, élu conseiller municipal, qui me demandait, quand il avait douze ans si les femmes jouissaient comme dans les porno quand on les violait et qui éclate de rire à chaque fois qu'il y repense -"heureusement que j'ai progressé dans ce domaine!"-, il y a celle de Malika que son père a fait partir d'Alger pour qu'elle puisse continuer ses études de droit et qui va aller s'installer au Québec où ils accueillent volontiers les migrants francophones, il y a celle de Salim avec lequel j'échange livres et cigarettes dans les coulisses du théâtre dont il est régisseur, il y a ...
Il y en a trop à dire même pour le si peu que je connais.
A me livrer ainsi à tous les embouts de la parole, je vis dans le silence médian qui la creuse.
D'un même mouvement je dis et je tais, je sais et ne sais pas, j'inscris et j'efface.

Algérie,
ce fut un nom sur des murs et des banderoles,
ce furent des gens tant de gens et de visages croisés, regardés, écoutés,
ce sont gens croisés, regardés, écoutés,
ce sont des images sur la bocal vitreux de l'idiot-box,
ce sont des chants et des poèmes présents à mon oreille parce que quelqu'un à mes côtés les dit et les chante,
ce sont des gâteaux sucrés et une vieille carte de géographie,
c'est la mort encore.
et aussi la vie dans son entame.
Ce fut et c'est dans un mot l'histoire de l'Histoire comme un conte de bruit et de fureur raconté par un idiot.
C'était la première fois dans mon enfance que j'avais à faire à son éventration et que du miel coulait avec du sang.












Samedi 17 Décembre 2005
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Revue Cités N°73,
Effraction/ diffraction/
mouvement,
la place du poète
dans la Cité,
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Pour avoir vu un soir
la beauté passer

Anthologie du Printemps
des poètes,
Castor Astral, 2019

La beauté, éphéméride
poétique pour chanter la vie
,
Anthologie
Editions Bruno Doucey, 2019.

Le désir aux couleurs du poème,
anthologie éd
Bruno Doucey 2020.







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22/11/2010