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09/02/2011



L'invité du mois

David DUMORTIER



BIOBIBLIOGRAPHIE

David DUMORTIER
David Dumortier est né en 1967. Vit à Paris. A publié aux Editions Cheyne sept livres dont « La Clarisse », « Mehdi met du rouge à lèvres » et « Cligne-musette ». A aussi publié « Croquis de métro » aux Editions Le Temps des cerises, « Yi et Yo » aux Editions Motus, « lettres à un homme noir qui dort » à l’Atelier du Colophon, « 20 poèmes au nez pointu » aux Editions Sarbacane, « Au milieu d’Amman » aux Editions Al Manar, « Ma famille nombreuse » aux Editions Rue du Monde, « Les bateaux qui restent » aux Editions Les Petites Allées et « Travesti » aux Editions le Dilettante.. Intervient régulièrement en milieu scolaire.


EXTRAITS

David DUMORTIER
Extrait de « Travesti », Editions le Dilettante 2012



J’habite un quartier populaire de Paris, au fond d’une petite rue sombre, l’une des dernières zones de repli pour quelques dealers. Arrivé là, il faut entrer dans l’immeuble par un hall assez large, traverser la cour, puis, prendre le bon escalier, suivre un couloir, tourner à droite et c’est à cette porte que des centaines d’hommes sont venus sonner.
Je suis écrivain et je suis une travestie. Je préfère que l’on dise que je suis un poète quand on parle de mes livres. Je n’écris pas de roman parce que je n’aime pas que l’on dilue les sucs de la langue. Mais au-delà de ces classifications littéraires, je crois que je ne romance pas de belles histoires parce que je cherche toujours à être un peu à part. La poésie me plaît par sa marginalité. Je reconnais en elle ma vie par le mépris qu’elle suscite souvent. Et je suis une travestie. C'est-à-dire que je m’habille en femme chez moi pour recevoir des hommes. Et des hommes j’en ai accueillis des wagons. Avec ces deux activités, j’ai multiplié ma vie par deux. Bien entendu, personne ne choisit un beau matin d’être poète pas plus que travesti. J’ai pour cela réuni beaucoup de forces et de circonstances. Je me souviens, j’habitais en Syrie pour suivre mes études d’arabe. Le soir, en rentrant chez moi, je croisais souvent deux travesties sur le pont du Président. La Syrie est encore un pays très surveillé par la police politique, les Mokhabbarat, et les gens sont soumis au silence depuis des décennies. Personne, exceptés quelques communistes et vaillants démocrates, n’ose se rebeller contre la dictature des Assad. Et bien ces deux créatures perruquées et fardées, malgré le risque qu’elles encourraient, affrontaient l’un des régimes les plus durs de la planète. Elles étaient, à mes yeux, les plus grandes résistantes du pays. Mes parents étaient agriculteurs et vivaient en suivant la tradition de la paysannerie française. Quand j’ai commencé à me travestir, dès l’âge de cinq ans, j’ai dû à l’instar de mes consœurs syriennes braver le danger du regard et de la punition.
Quant à la force du poète je l’ai trouvée dans ma guerre. Je n’affectionne pas beaucoup les poètes qui n’ont pas livré une bataille. Les poètes planqués à l’université avec une agrégation dans la poche me rebutent. J’aime René Char le résistant, Lorca l’homosexuel, Genet le voleur, Karl Valentin le rémouleur, Artaud le fou, Fondane le Juif, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus la mystique hémoptysique, Saint Jean de la Croix le marginal de l’Eglise, Pessoa le triste, Kavvadias le marin, Marcelle Delpastre la paysanne, Thierry Metz le manœuvre… Comme beaucoup d’artistes en France, je vis sans aucun salaire. Il y a de cela une douzaine d’années, j’ai quitté à l’amiable mon employeur. Je me revois revenant de la Poste avec la lettre recommandée dans la main. Je me sentais légère et pleine de sucre, comme une fraise. Plus d’horaires, plus de remarques désobligeantes, plus de pressions, plus de collègues, plus de sourires forcés, plus de congés payés, plus de notation… J’étais enfin libre. Libre de créer ma propre économie, de gagner de l’argent avec ma petite production de livres de poésie ! C’est tout de même plus réjouissant que de courber les épaules devant un patron. Les débrouillards autant que les manuels me fascinent parce qu’ils portent en eux une indépendance. Les menuisiers, les plombiers, les maçons et bien entendu les couturiers. J’ai vu dernièrement un défilé de mode. Tous les mannequins étaient vêtus de vêtements déchirés, décousus, rapiécés. Je retrouvais dans ces pièces uniques ma façon d’écrire. Je choisis souvent de ne pas tout dire, j’écris avec une paire de ciseaux, je retire, je déconstruis. J’évite de rajouter des éléments météorologiques à toutes les scènes que je décris… Il n’y aura pas beaucoup de pluie le long des fenêtres dans mon récit. Ce livre, que vous venez d’ouvrir, je l’ai cousu comme une robe d’ombre pommelée de soleil.


***





Nour. Je vous ai parlé de beaucoup d’hommes mais il est impératif que je vous dresse le portrait de Nour. C’est un nénuphar de lumière. Le haut de son corps est fleuri de muscles, le bas vit dans la paralysie des eaux croupies. Un homme-nymphéa. Maghrébin. Champion olympique dans les années quatre vingt. Il est revenu de Séoul couvert de médailles et de gloire en ayant concouru dans la catégorie handisport. Le président Mitterrand ne l’a jamais reçu. La République ne lui a donné aucune Légion d’Honneur. Toutes les distinctions qu’il a gagnées, il les a arrachées avec ses bras. Des bras de tordeurs de cou.
Les courageux ne seront jamais du spectacle. Alors Nour vit de petits boulots, il vend de la billetterie pour des concerts, il fait rarement l’amour, les filles ne veulent pas de lui. Fini la lumière d’un jour. On est cueilli qu’une fois quand on est une fleur. Je ne lui ai pas réclamé mon cachet d’artiste, il m’a tellement donné envie d’écrire sur lui. On peut aussi me payer de mots car je suis bien incapable de marcher sur l’eau pour aller les cueillir toute seule ; les mots que les hommes m’ont donnés depuis que je les regarde inlassablement flotter dans leur sueur.


***





J’ai parlé, les lèvres surchargées de graisse de baleine pour huiler le mécanicien qui s’en va, comme un navire se retire du commerce. Je vous ai bus hommes en bleu de travail. Une sirène est venue m’habiter, une méduse, une muse invisible. Elle tète mon sang et m’aspire lentement. Elle boit aussi le lait des petits veaux de mer, en les appelant dans la nuit des fonds marins. Puis elle rumine des yeux. Au matin, elle se prépare à franchir d’autres clôtures de vent et s’échappe à nouveau de ses prairies avec des vagues sur ma robe. J’ai appelé les taureaux qui remuaient les océans, leurs couilles pendaient, prêtes à rouler en ne s’appuyant sur rien d’autres que leur nom de couille. Mon visage a pris des teintes d’algue verte, c’est la couleur du mélange de la diablesse-poisson et de l’homme. Je me suis poudrée souvent comme une meunière, et dans le son de ma voix, avant la sortie des mots, on entendait une éponge se gonfler dans la houle. Tous mes mélanges étaient une lecture des grands champs. En tournant les pages du paysage, j’ai vu que la mer mordait un peu sur la terre : les limites ne sont jamais clairement découpées.


Je voudrais les épeler tous une dernière fois. Franck de la RATP, Hani l’Egyptien, Samir voiture volée, Amin vendeur de bribes, Max l’Ivoirien qui est passé ce soir, Farid le premier d’aujourd’hui, Mehdi de St Denis, St Joël, St Kamel-Poker, St Jean, St Paul et tous les Saints du calendrier. Ô mes arbres à couilles ! Mes euphorbes ! J’ai l’impression de quitter ce monde en vous quittant sur ces pages. Ce livre s’achève mais je continuerai ma litanie des Saints en présence du Très-Haut. Ô mon Dieu ne me sauvez pas avant eux car l’homme qui sait écrire pourra toujours se débrouiller pour gagner un bout de phrase sur son pain sec.



Mardi 4 Décembre 2012
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