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09/02/2011



L'invité du mois

Françoise RULLIER



BIOBIBLIOGRAPHIE

Françoise Rullier, bio-bibliographie :

J'ai fait des études de lettres, tout en étant en même temps tentée par la peinture. Etudes de lettres qu'on peut qualifier de brillantes (quatrième aux IPES, première à normale sup Cachan et quatrième à l'agrégation).

Je suis maintenant maître de conférences en langue française à Paris-Sorbonne (Paris 4), en délégation à l’Université paris-Sorbonne d’Abu Dhabi où je suis chef du département de langue française.

Avant cela, j'ai enseigné pendant 18 ans dans l'enseignement supérieur en Afrique tout en faisant ma thèse (Mali 8 ans, Madagascar 6 ans, Guinée Conakry 4 ans). A l'époque, c'était un peu l'aventure, j'ai eu un coup d'état en Guinée et le couvre-feu, une émeute et une grève générale à Madagascar.
Dans tous ces pays j'ai voyagé autant que j'ai pu, j'adore la conduite sur piste et dans le sable et les quatre-quatre, j'adore dormir dans le désert à la belle étoile. Du temps du Mali j'allais reconnaître les pistes pour le Paris-Dakar à ses débuts, j'ai descendu ma voiture de Paris à Bamako en passant par le Maroc, l'Algérie, le Niger, le Burkina, avant d'atteindre le Mali. Aujourd’hui je fais partie d’un club de quatre-quatre et je conduis dans les dunes entre Abu Dhabi et Dubaï.
J'ai très vite découvert ma passion pour les voyages, j'avais 16 ans quand j'ai commencé à voyager (j'apprends très vite les langues étrangères et je comprends tout ce qu'on me dit quelle que soit la langue). Cela a d'abord été une passion pour l'Amérique du Sud où je suis partie trois étés de suite (liée à la découverte de l'œuvre de Gabriel Garcia Marquez). Ensuite je suis partie au titre de la coopération en Afrique et c'est un autre monde et une autre littérature (très belle littérature, très baroque) que j'ai découverts. Après 18 ans de vie en Afrique, je suis rentrée et j'ai été élue à l'Université Paris-Sorbonne (Paris 4). Alors, mes voyages se sont portés vers l'Orient, Cambodge et Vietnam, deux étés de suite, où j'ai voyagé en routarde (comme du temps de l'Amérique du Sud) avec 10 euros par jour comme si j'avais encore 20 ans.
Puis mon Université parisienne s'est impliquée dans la Sorbonne d'Abu Dhabi et j'ai commencé à voyager au gré des missions que je faisais là-bas dans cette partie du monde (et même en Iran). Lorsqu'on m'a proposé le poste de chef de département de langue française ici, je l'ai accepté. Ainsi j'habite aux Emirats depuis trois ans et je passe mes week-end à visiter les pays voisins ou à conduire ma jeep dans le désert.
L'année dernière je suis partie enseigner en Finlande, puis je suis allée en Mongolie voir le désert de Gobie.

J'ai toujours su que je voulais être écrivain. A l'école communale j’aimais par-dessus tout les rédactions que tout le monde détestait. Depuis la classe de quatrième j'ai écrit des romans et j'ai tenu mon volumineux journal intime. Mon premier roman, La Vie extraordinaire de Rafaël Ariatégui, publié en 1984 chez Calmann-Lévy a remporté un succès de critique, le deuxième, Le Roi Planton, publié en 1986 chez le même éditeur n'a pas bénéficié de la même promotion.
Les années suivantes, quand j’ai été élue à la Sorbonne, j'ai plutôt écrit des livres universitaires et je me suis spécialisée pour ce qui est de la recherche dans le roman populaire et le roman parodique. J’étais très impressionnée par ce lieu prestigieux et j’avais peur de ne pas être à la hauteur de ce qu’on attendait de moi. L'écriture de mes romans, dans ces conditions, n'était plus au premier plan. J'ai cependant sous forme de manuscrits plus ou moins achevés trois romans qui attendent leur tour.
J'ai toujours aimé peindre. J'ai vraiment commencé à apprendre les techniques quand j'étais à Conakry, avec un professeur vietnamien et une peintre russe. Ensuite à Paris j'ai rejoint un atelier. J'ai fait une exposition à Conakry et une autre ici à Abu Dhabi. Je peins les lieux où j'ai voyagé, car peindre me transporte de nouveau là-bas. Beaucoup de paysages africains. J'aime aussi beaucoup les portraits, saisir le sens d'une expression me passionne.
Mes tableaux forment généralement des séries, ce qui m'évite l'effet d'éclatement en œuvres éparpillées, c'est important pour moi qui aime le roman comme forme d'expression parce que l'histoire forme un tout dans lequel tous les morceaux sont pris.


EXTRAITS DE TERMINUS PARADIS aux EDITIONS SAUVADIA

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EXTRAIT 1

Cette nuit-là, Angelo fit la connaissance de l’eau.
Pendant que Mahamadou tremblait de voir surgir les génies des entrailles de la terre, pendant que les fidèles croyaient répéter le rituel de l’apocalypse, lui, délivré de tout autre sentiment, solidement balancé sur ses deux jambes au sein des éléments, faisait la connaissance de l’eau.
Il pleuvait des cordes, des seaux, des litres, ça ruisselait, ça déferlait en cataractes, dans une dilapidation colossale la masse liquide s’affalait sur la terre. Elle débordait l’eau pure, en vagues pressées, s’engouffrait partout. La première impression sous les trombes fut de douleur brutale. Ensuite vint le plaisir. Angelo avait concentré dans sa chair toute la sécheresse du désert et la soif de la terre était sa soif. Il n’imaginait pas de sensation plus délicieuse que cette averse torrentielle sur son visage. Lavé, par cette eau qui lèche, il en avait plein les yeux et les oreilles, elle lui remontait dans le nez, descendait au fond de sa gorge, elle le pénétrait par tous les trous de son visage et il se régalait en royal enfant gâté, se gavait à en perdre la respiration, buvait, buvait aux sources vives du ciel avec délice, y retrouvant les linéaments de la vie même. Cette eau, je l’aime, se prit-il à crier, je l’aime, à vociférer comme un forcené au milieu de la tornade, je l’aime !
Il frissonnait d’impatience, il n’était plus que cette rencontre entre la peau et les gouttes, dans cette adéquation parfaite du monde à son désir. Tous ses sens avivés se dédiaient à la sensation : il était la fraîcheur de la pluie et le ciel mouillé, dilué, coulant et glissant. Ses mains, ses jambes, ses vêtements même participaient à la fête qui ruisselait sur son visage. Le liquide précieux, généreusement prodigué, trempait sa chemise et coulait sur ses jambes, le monde se changeait en un bassin d’eau fraîche, froide à le faire tressaillir, et lui en un paquet dégoulinant. Il connaissait la pluie sur sa peau et la ressentait de l’intérieur, ému par cette impression de miracle que procurait l’eau humidifiant ses entrailles, coulant dedans et dehors, de l’extérieur vers l’intérieur et de l’intérieur vers l’extérieur, la sensation la plus extérieure tournant immédiatement à la perception la plus intérieure, l’eau qui baignait sa bouche ouverte coulait au-dedans de lui, humectait ses lèvres, sa langue et s’imprégnait brutalement à ses poumons, à ses intestins, il sentait cette splendeur irriguer ses membres et jusqu’à la moelle de ses os. Le sang recommençait à couler dans ses veines, ses articulations redevenaient souples, c’était une victoire du corps, du corps vivant, sur l’esprit et ses peurs.
De grandes griffes de feu déchiraient l’obscurité, illuminant pendant de longues secondes les falaises à travers le voile oblique de la pluie, changeant la nuit en jour et révélant jusqu’au plus petit caillou roulé sous ses pieds. Le tonnerre mettait fin à l’atroce silence du désert et la foudre lui restituait la lumière qui avait manqué sur la terre, rendant aux choses des proportions regardables, triomphe de l’orage sur la ténèbre. Ses yeux et ses oreilles retrouvaient leurs fonctions. Le sable mouillé reflétait les éclairs comme aurait fait un lac. Le feu du ciel grondait et roulait et craquait dans des fracas qui épouvantaient Mahamadou, les djenouns, les djenouns ! persuadé que des centaines de démons se mettaient en marche dans leur direction.
Une bénédiction après les heures de sècheresse diabolique et de soif, l’eau du ciel mille fois béni ! Angelo se laissait emporter, ivre d’excitation, dans une explosion de joie, il vociférait et gesticulait, il sautait et buvait de longs traits au creux de ses mains, il courait, haletant sous les trombes, dans le pépiement des gouttes, s’exposait les bras en croix, fermait les yeux et restait la bouche démesurément ouverte, les narines incrédules, extasié, régénéré, absorbé, puis il s’allongeait dans le ruissellement, barbotant sans retenue, dans la boue, euphorique, dans le bonheur de l’eau frappant le sol avec un bruit de claque, puis bondissant en fontaines. La pluie était diluvienne et bienheureuse. L’averse lui avait rendu la vie.
Et là, sous la pluie d’Afrique, il entendit la rumeur de la mer, la grande gesticulation de la mer, le ressac des longues vagues atlantiques comme on le perçoit dans les coquillages marins, il croyait voir l’océan depuis les barques pêcheuses aux voiles tendues et les crêtes blanches des vagues roulant, déferlant, se creusant, se chevauchant les unes les autres. Et là, sous la pluie d’Afrique, il songeait à l’eau qui déborde des chéneaux étranglés, coule le long des rigoles pour étaler de grandes flaques d’été. Et les enfants chaussés de bottes de plastique viennent patauger. Et là, sous la pluie d’Afrique, il pensait à l’eau qui dégouline le long de la perche du piroguier, aux bruits odorants des rivières du Sud, avec leur parfum de fruits fabuleux, de fumée, de soupe, de terre, de brioche dorée, parfum, simplement parfum. Goût des fleurs sauvages, goût de la pluie et de la terre, miraculeuse salive de la terre, pluie, ô pluie ! Et lui qui se tordait de sècheresse, il suçait le lait des nuages crevés, le goûtait avec ses lèvres, avec sa langue, avec ses dents, avec ses narines, ses mains, ses pieds. Sa bouche s’ouvrait comme une coupe, œsophage palpitant, amygdales gonflées, l’eau qui coulait prenait possession de lui, pénétrait au cœur de sa matière et réveillait sa chair. L’eau sur son front avait la douceur charnelle des mains d’une femme et la violence des fleuves. À travers ses vêtements, comme s’il avait été tout nu, il frémissait aux caresses de l’eau sur ses flancs, le ventre offert, le cœur, les intestins, le sexe, sa chair frémissait sous les doigts liquides, le frisson se brisa dans tout son corps, l’eau qui déferlait en lui le possédait, l’éclatement de chaque goutte le comblait de délice, ses poumons se gonflaient du ciel même.
Il sentit qu’il était en train d’entrer en quelque sorte dans l’éternité de la terre. Un bonheur si complet l’envahit à quoi rien ne pourrait jamais se comparer, rien ne lui procurerait un tel plaisir. Allégresse, le bonheur qui le combla. Ses lèvres s’ouvrirent dans un baiser cosmique. C’était l’eau de la réconciliation des éléments, la plus extatique fusion avec la matière, il jubilait, il n’y avait pas d’autre mot, c’est ainsi qu’il fallait dire, il jubilait.

EXTRAIT 2

Libres, légers, hardis, ils allaient d’un pas régulier, scandant leurs paroles rituelles, priant et acclamant leurs dieux triomphants, avec les bannières déployées comme les croisés marchant au combat, sur le chemin de Jérusalem, et semblaient d’ailleurs arriver tout droit de l’an mille. Leurs oripeaux ecclésiastiques les forçaient à marcher ainsi que des prêtres au séminaire, avec une majesté empesée, coup de pied par devant pour balancer la chasuble sans la piétiner, coup de pied en arrière pour décrocher la robe retenue par les cailloux.
Ankhès, la centenaire, ouvrait la marche. Angelo les suivait fasciné.
- Dieu est le mari de la petite vieille, dit Mahamadou.
La montagne leur avait parue proche, elle ne l’était pas, encore une fois ils avaient mal évalué les distances, mais la fatigue n’avait aucune prise sur eux. Ils eurent à marcher longtemps au milieu des éboulis, cependant l’ascension ne leur semblait pas rude, les taons et les abeilles ne les harcelaient pas. Les dames aux cheveux blancs ne souffraient pas. Les pieds mal chaussés dans des chaussures trop hautes ne se tordaient jamais dans les cailloux acérés, ni faux pas, ni soupir. La centenaire, fraîche et gaillarde, marchait devant en souriant, elle ne transpirait même pas, évoluant avec ses hauts talons comme sur un parquet ciré et balançant ses jupes comme une femme entrant dans une salle de bal. Elle avait l’air de prendre cette expédition désespérée pour une promenade d’agrément et les autres la suivaient d’un air tout aussi content.
On peut imaginer le décor et la scène : Angelo a laissé des liasses d’aquarelles dont une grande part est dédiée à la glorification de ces paysages pétrifiés. Ce sont là ses plus belles œuvres, cela ne fait aucun doute. La collection des dessins semble décliner le sable et les rochers pour eux-mêmes, à l’infini. Il a aimé peindre la surface sèche de la terre dure et coupante, le sol fendu et craquelé et les formes des rochers et les profils des montagnes.
Pierres et cailloux forment la ligne de terre de tous ses tableaux, à leur grandeur réelle, comme disent bizarrement les peintres. Le graphisme est toujours apparent, le trait est souvent repassé à l’encre sépia, cassant les arêtes éclatantes des blocs. Les ombres à l’encre, hachurées, bouclées, zébrées, soulignent le blanc éblouissant du papier, comme une écriture en négatif. Il a cherché par tous les moyens à rendre l’incidence de la lumière sur les couleurs. Les parties sombres, dans les verts et violets, voient leurs traits de force lourdement épaissis le long de la séparatrice, formant contraste avec le pied de la lumière. Et la force de la réverbération sur les rochers est telle qu’ils semblent se distordre au soleil. Les pierres rougeoient et flamboient et le ciel éblouit.
Le peintre, devant la simplicité de ce sujet, a réduit sa palette. Il travaille des tons presque monochromes, du rouge pur au gris violacé, tous les roses de sa boite de couleur se juxtaposent. Le dessin se fait épure pour exprimer la quintessence du paysage, Angelo représente un monde où ne reste que l’essentiel : des effets de lumière aveuglants. Sous l’éclairage intense, les terrains nus sont des motifs à part entière. Le désert sans une tache, tendu comme une soie en travers de la feuille, des aplats transparents et des ombres fortes, très profondes, qui rendent les lointains éblouissants. Les montagnes flottent sur l’horizon, presque effacées, à peine rattachées au monde, bues par le soleil et la brume qui s’étend en nappes tranquilles. Sans vie. Avec un air de cataclysme. Il a su donner à ses aquarelles une dimension spirituelle : c’est le vide dessiné, c’est le néant peint.
Tout est immobile, brillant et brûlant. Toutes choses arrêtées, même les personnages planant dans un désert figé qui les regarde passer. Car il y a les scènes à personnages qui représentent les vieillards costumés marchant sur les rochers comme des dieux sur les flots.
C’est là qu’on mesure comme Angelo ne voyait pas les choses à plat ! Son pinceau va tout de suite au fond du rêve et au fond des images. Il aimait la couleur et l’emphase, il admirait le train phénoménal des fous de Dieu dans la caillasse et cette montagne escaladée comme par magie, sans effort et la tête haute. On n’en croit pas ses yeux. Les représentations les plus extravagantes, les mises en scène les plus délirantes, n’ont sans doute jamais atteint la pompe bouffonne de ce défilé de vieillards. On reste abasourdi devant ce péplum aussi hétéroclite qu’anachronique à l’assaut des rochers.
On croit d’abord que les passants ne sont là que pour les effets de couleur, une parure du désert en quelque sorte, comme les colliers des femmes et les perles dans les cheveux, comme un feu d’artifice sur le ciel noir. Sur le fond minéral, les silhouettes d’une autre facture jettent des taches de couleur éclatantes au milieu de l’immensité désespérément vide. Des bleus intenses, des verts crus éclatent en bouquet, brusquement, au milieu des couleurs chaudes, ocres et bruns, produisant des rapports chromatiques insolites qui traduisent sans doute des impressions visuelles difficilement exprimables.
Autour de ces pèlerins, il n’y a que le vide, rempli de pierres nues et de sable, tout ce qui leur reste du monde. Les figures accentuent le gigantisme des constructions rocheuses, ces personnages tout petits rendent la nature plus vide et ces silhouettes enlevées en l’air font paraître plus lourdes les pierres.
Il ne fait aucun doute qu’Angelo laisse courir son imagination d’artiste dans ces œuvres improbables. On reconnaît bien le désert, son caractère rude et son tempérament, sa vraie nature, mais les figurants, presque aériens introduisent une dimension d’impossible qui fait rêver. Le traitement fantasque des modèles humains donne à la composition toute son originalité. Angelo semble célébrer une cérémonie pompeuse et presque surnaturelle.
Pas de sentier, ils allaient au hasard dans l’éboulis, à travers des blocs énormes, simplement guidés par des oiseaux. La centenaire disparaissait derrière un rocher, puis se découpait soudain bien plus haut sur le ciel bleu. Ils suivaient toujours. Les énormes débris détachés des falaises formaient les degrés d’un escalier de géants qu’il suffisait de monter.
Et Amram faisait preuve d’une endurance hors du commun, malgré sa corpulence.
Sur la croûte de terre craquée, l’artiste a posé des silhouettes éthérées à longues pattes, allongées comme des anamorphoses. Il a étiré les cous et les jambes, traitant ses personnages tantôt sur le mode des oiseaux, tantôt des insectes, libellules et papillons, ils en ont les proportions et les couleurs et les antennes d’une sauterelle. Dans les paysages de pierre, la tribu prophétique en marche sur la terre, réduite à des lignes squelettiques, avance avec des allures de grues couronnées. Splendides dans leur envolée, ces vieillards aussi raides que des lettres gothiques sur leurs jambes disproportionnées dressent leurs chevelures gonflées de plumes d’autruche. Ils ne tiennent plus à rien, leurs pieds effleurent à peine le sol. Tout cela brille d’un éclat d’oiseau de paradis.
Les impressions produites par ces images spectaculaires, mi-rêvées, mi-goûtées, étaient si fortes qu’Angelo ne cessa de reprendre ses pinceaux. Il a peint tant de fois le cortège emplumé traversant ce monde de cailloux comme un peuple d’échassiers, vibrant dans la brume chaude, suspendu entre terre et ciel à la manière d’un mirage, que cet anachronique spectacle occupe des centaines de feuilles. En regardant cette procession complètement incongrue et pour tout dire absurde, on se demande quel sens il faut lui donner.
Ils foulent de leurs pieds légers la pierre et ses cratères de cailloux, raclant la terre par leurs pieds et de la tête touchant le ciel, sans la moindre trace de souffrance, foulant la terre et le ciel d’un même pas puissant. Tout baigne dans la sérénité des couleurs chaudes où l’oranger domine, exprimant un monde où l’harmonie se voit. La beauté est le principe même de la représentation, mais celui qui sait contempler sent que la peinture ne s’arrête pas là. Les dessins ont une autre vocation : ils disent le passage sublime d’un peuple élu.
Les personnages jetés sur leur route inconnue plongent dans la blancheur du ciel, ils marchent dans des morceaux de soleil et les rochers s’ouvrent devant eux. Ils semblent surgir du désert, vivre de lui, naître des rochers, s’élançant hors des limites dans le vide – légers, aériens, presque divins. Ils s’éloignent vers leur libération dans l’éclat de cette lumière, soleil de la terre, soleil des pierres, soleil du ciel, soleil du soleil. Lointains, presque au bord du monde, face à l’infini. Ils sont partis pour l’éternel voyage, non celui qui mène d’un lieu à un autre lieu, mais celui qu’on ne finit jamais, absolu, fatal.
- Ce sont des saints, dit Mahamadou. Des têtes faites par Dieu.
- Il ne faut pas confondre les têtes et les habits, répondit Angelo.
- Alors, si c’est pas Dieu, qui c’est ?


4ème de couverture de TERMINUS PARADIS


Présentation de Terminus Paradis
Une Afrique authentique, concrète, la vie quotidienne dans un hôtel de luxe décati, où l’on trouve des paumés du bout du monde, Moïse le voyageur, Zakif le tenancier du bar, Ibrahim le fils du pays et le consul de France, en panne lui aussi, qui passent leurs nuits à boire en dissertant sur une liberté qu’aucun d’eux ne semble pratiquer. Cela se passe à Gao, la grande ville du Nord, au Grand Hôtel Terminus Paradis avec ses habitués qui trafiquent au milieu des touristes en groupe organisé, et au bar à Zakif où la clientèle est moins raffinée. Des relations troubles se nouent entre les riches et les pauvres, entre les étrangers et les seigneurs du désert, entre Moïse et la belle Antinéa, mais aussi entre les vivants et leurs disparus. Quelle vieille histoire lie tous ces gens qui prétendent ne pas se connaître ? Il n’y a pas : pour sortir de l’impasse, il faudra raconter, il faudra remonter les années, revivre l’affaire qui entoure la naissance de Moïse. Le seul survivant d’autrefois.

Roman africain, roman exotique, roman initiatique, roman parodique ou roman d’aventure, autant de catégories dans lesquelles on ne saurait classer Terminus Paradis qui, au-delà de toutes ces facettes et facéties, avec son exotisme et son lot d’aventure, parle d’un voyage plus essentiel, plus universel, parce que simplement humain. Derrière les histoires, c’est un livre qui parle de la peur, de toutes les peurs. Les pirates du désert s’emparent des voitures et laissent leurs passagers dans le sable, l’incident de parcours devient le déclencheur d’une descente aux enfers, car le vrai voyage, celui qui vaut la peine d’être tenté, c’est celui qu’on entreprend immobile.
D’un monde à l’autre, un voyage qui tourne mal, une expédition qui se perd et qui survit en autarcie, une petite société coupée des hommes et qui refait le monde selon ses principes.
Une Afrique mythique, où le désert est une allégorie du monde, le grand vide où l’imagination prend le relais de la vérité. C’est un lieu absolument pur où chacun devient exactement ce qu’il choisit (saint ou sainte, prophète, mère, amant, ivrogne, écrivain et peintre) et peut expérimenter ses phantasmes jusqu’au bout et sans limite.
On ne connaît plus ni loi ni respect mais la surenchère dans la folie que les uns appellent absolu et les autres frénésie. Le désert ne vous laisse rien et vous donne en échange tout ce que vous voulez : secte, oasis inconnue, trésor inépuisable, concupiscence et jalousie, tous les ingrédients d’un roman d’aventure s’y trouvent réunis.
L’humour accompagne toujours la narration, certains personnages tendent vers la caricature, ailleurs ce sont des notes plus discrètes qui établissent une distance complice avec des personnages très humains.

D’un monde à l’autre, un fils et son père qui ne se connaîtront jamais, un fils ne voulant pas de son père ni de l’histoire familiale qui le tue. Angelo et Satamon sont très jeunes, à peine des adultes et ils ont à lutter contre leurs compagnons d’infortune pour défendre leur amour et leur enfant.

Lundi 3 Juin 2013
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22/11/2010