BIOBLIOGRAPHIE
Catherine Pont-Humbert
catherineph@free.fr
Catherine Pont-Humbert est écrivaine, poète, critique littéraire, lectrice et conceptrice de lectures musicales.
Productrice à France Culture de 1990 à 2010, elle y a réalisé de très nombreux grands entretiens (« A voix nue ») et documentaires. Depuis, elle programme et anime des rencontres littéraires à l’occasion de festivals de littérature en France et dans des pays francophones.
Elle est l’auteur d’essais, de récits, et de livres de poésie. Elle a notamment publié Carnets de Montréal, éditions du Passage, 2016, La Scène (récit), éditions Unicité, 2019, Légère est la vie parfois (poésie), éd. Jacques André, 2020, Les Lits du monde (poésie), éd. La rumeur libre, 2021, Chemins (livre d’artiste), éd Transignum 2022, Noir printemps (poésie), éd. La rumeur libre, 2023, Quand les mots ne tiennent qu’à un fil. Une épopée poétique (prose poétique), éd. La tête à l’envers, 2025 (prix Vénus Khoury-Ghata, première sélection du prix Mallarmé).
Sa poésie est parue en revues (Apulée, Les cahiers du sens, Siirden, Verso, Concerto pour marées et silence, Recours au poème, La Traductière), dans des anthologies (« Feu » éditions Henry, « Du corps du poète au corps poétique » jeudidesmots.com, « Europoesia », « l’Athanor des poètes », « Voix vives de Méditerranée » …). Elle est régulièrement invitée dans des festivals de poésie en France et à l’étranger. Ses textes ont été traduits en anglais, en roumain, en italien en catalan et en turc.
Elle a adapté et donné de nombreuses lectures musicales parmi lesquelles Œdipe sur la route d’après Henry Bauchau (lecture créée en 2017 au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris), Écrire c’est dire le monde, florilège de textes francophones (lecture créée en 2017 à l’abbaye d’Hautecombe en Savoie), La Scène d’après son propre récit (lecture créée en 2019 au Musée Paul Valéry à Sète) Les échappées, lecture poétique (créée en 2022 à la Maison de la poésie de Montpellier),Volte-face, lecture poétique avec trois musiciens (créée en 2023 à la Médiathèque de Boulogne Billancourt).
Elle est titulaire d’un doctorat de lettres modernes portant sur la littérature du Québec qui lui a valu une bouse de recherche du Conseil des Arts du Canada. Elle a vécu à Montréal. Elle est par ailleurs membre du comité de rédaction de la revue Apulée (dirigée par Hubert Haddad) depuis sa création, membre de l’équipe du Festival de poésie de Sète, membre du comité de direction du PEN Club français, membre du jury du Mediterranen Poetical prize, et elle assure le suivi du prix du Premier roman des Bibliothèques de la ville de Paris depuis sa création.
catherineph@free.fr
Catherine Pont-Humbert est écrivaine, poète, critique littéraire, lectrice et conceptrice de lectures musicales.
Productrice à France Culture de 1990 à 2010, elle y a réalisé de très nombreux grands entretiens (« A voix nue ») et documentaires. Depuis, elle programme et anime des rencontres littéraires à l’occasion de festivals de littérature en France et dans des pays francophones.
Elle est l’auteur d’essais, de récits, et de livres de poésie. Elle a notamment publié Carnets de Montréal, éditions du Passage, 2016, La Scène (récit), éditions Unicité, 2019, Légère est la vie parfois (poésie), éd. Jacques André, 2020, Les Lits du monde (poésie), éd. La rumeur libre, 2021, Chemins (livre d’artiste), éd Transignum 2022, Noir printemps (poésie), éd. La rumeur libre, 2023, Quand les mots ne tiennent qu’à un fil. Une épopée poétique (prose poétique), éd. La tête à l’envers, 2025 (prix Vénus Khoury-Ghata, première sélection du prix Mallarmé).
Sa poésie est parue en revues (Apulée, Les cahiers du sens, Siirden, Verso, Concerto pour marées et silence, Recours au poème, La Traductière), dans des anthologies (« Feu » éditions Henry, « Du corps du poète au corps poétique » jeudidesmots.com, « Europoesia », « l’Athanor des poètes », « Voix vives de Méditerranée » …). Elle est régulièrement invitée dans des festivals de poésie en France et à l’étranger. Ses textes ont été traduits en anglais, en roumain, en italien en catalan et en turc.
Elle a adapté et donné de nombreuses lectures musicales parmi lesquelles Œdipe sur la route d’après Henry Bauchau (lecture créée en 2017 au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris), Écrire c’est dire le monde, florilège de textes francophones (lecture créée en 2017 à l’abbaye d’Hautecombe en Savoie), La Scène d’après son propre récit (lecture créée en 2019 au Musée Paul Valéry à Sète) Les échappées, lecture poétique (créée en 2022 à la Maison de la poésie de Montpellier),Volte-face, lecture poétique avec trois musiciens (créée en 2023 à la Médiathèque de Boulogne Billancourt).
Elle est titulaire d’un doctorat de lettres modernes portant sur la littérature du Québec qui lui a valu une bouse de recherche du Conseil des Arts du Canada. Elle a vécu à Montréal. Elle est par ailleurs membre du comité de rédaction de la revue Apulée (dirigée par Hubert Haddad) depuis sa création, membre de l’équipe du Festival de poésie de Sète, membre du comité de direction du PEN Club français, membre du jury du Mediterranen Poetical prize, et elle assure le suivi du prix du Premier roman des Bibliothèques de la ville de Paris depuis sa création.
EXTRAITS
Extraits de « Les lits du monde » éditions La Rumeur libre, 2021
Au chevet des lits
La solitude du premier livre, je la garderai à jamais
J’étais seule et je voulais embrasser la mémoire du monde
De ville en ville
De lit en lit
Le livre a grandi
Dans le geste lent et maladroit du mot balbutiant
Au chevet des lits du monde où je me suis glissée
J’ai laissé quelques traces
Elles attestent ma présence
Elles disent que j’ai bien dormi là
J’ai dormi dans tant de lits
J’ai emprunté tant de chemins pour arriver jusqu’à moi
*
Les lits du monde
J’ai vu l’insurrection des terres désertes d’Afrique
J’ai traversé les ciels d’orage
Les îles bleues
Les mers chaudes
J’ai connu les profusions verdoyantes des collines d’Asie
J’ai passé des frontières
Franchi des caps
Marché sans répits, insatiable
Ivre d’une quête sans fin
J’ai vu les yeux agrandis des enfants
Les corps amaigris, les pieds calleux
Les blessures noires, les peaux flétries
J’ai bu les eaux saumâtres des longs fleuves paresseux
Emportée par les courants
J’ai nagé dans les eaux claires
J’ai caressé des corps
J’ai dormi dans les lits du monde
*
L’origine
J’ai tant de fois changé de ciel
J’ai tant de fois changé de visage pour atteindre une vérité
Tant de fois dompté les chaos de mon cœur
Tant de fois éteint les soubresauts de mon âme
J’ai tant de fois voulu me délester
Renoncer à toute lignée
Mais la cadence du monde n’y suffisait pas
Une brutale et nécessaire traversée des choses me faisait arpenter la rase campagne
Tout y était encore en l’état
L’origine du monde s’offrait à mon regard
Pour échapper au chemin tout tracé
Pour dessiner le mien
Je me suis brûlé les yeux sous les lampes
Accrochée aux mots
Le cœur chahuté
Appelée par le monde
Je vivais loin de mes appartenances
Honnissais le mot racine
J’ai fini par accueillir mes ascendances
Leur ai fait une place au creux du lit
Les ai laissées se réchauffer
S’ancrer en moi
J’ai dormi dans tant de lits
J’ai emprunté tant de chemins pour arriver jusqu’à moi
*
Lit 2
Longtemps j’ai photographié les chambres où je dormais
Les lits défaits
Les fenêtres voilées
Les ronds de lumière sur les draps froissés
Les grains de poussière dorés
Les rideaux longs aux fenêtres ouvertes
Soulevés nonchalamment comme une respiration dans l’air
Les corps des hommes à mes côtés
La soie des peaux aux épaules
Les nuques tendres dans l’abandon
La douceur des paupières closes
Et autour le grand silence
J’ai dormi dans tant de lits
J’ai emprunté tant de chemins pour arriver jusqu’à moi
*
Chambre claire
J’ai rêvé une chambre claire
Des voiles de fenêtres soulevés par un vent chaud
Gonflés au rythme de l’air lourd
Une demeure lointaine
J’y étais de passage dans un lit immense, perdue
J’y dormais nue
Chambre lointaine et éphémère où se déposent les corps
Amants au creux des draps
Les voiles découvrent l’invisible
Le ciel porte mes rêves
Le lit m’embrasse
Lumière dehors signant le jour
*
L’attente
Écrire c’est attendre
Attendre que les mots arrivent
Égrenés au fil des heures lentes
Étirés vers une invisible frontière
Perles d’un patient collier
Ils roulent dans les embrasures de la nuit
Ne pas les laisser tomber par inadvertance
Ne pas trop les couver non plus
Éphémère construction riche de ses seuls doutes
Ils mordent la chair du rêve
Dans le buisson du sommeil
Ils s’envolent sans un cri
Au matin, les mots renaissent sauvages et impétueux
Énigme du souffle toujours présent
Aussi fragiles qu'un songe chevauchant le petit matin
Avant de se perdre dans un ailleurs broussailleux
Ils glissent sur l’or des fenêtres
Tissent un voile somptueux au banquet du jour
Un chant s’invente avec eux
Avant de disparaître emporté par un vent mousseux
Brûlure de l’attente
Proche d’une extase filée de mots paresseux
Écrire c’est attendre
*
Extraits de « Quand les mots ne tiennent qu’à un fil » éditions La Tête à l’envers, 2025
Les mots ont des mystères
Ils sommeillent dans les hauts-fonds de la langue
Ils arrivent dans un ordre qui leur appartient
Un ordre que nul ne connaît
Les mots inondent la vie
Une vie éblouie de noir
Sans eux démunie
Un soupçon de jour
Et soudain des marées d’ombres refluent
Mots de glaise humide
Hérissés d’aspérités
Double tranchant
Chair ouverte à son insu
Douceur d’argile
Au fond de la poitrine
Parfois les mots s’assoupissent à mes côtés sur le bord de la route
Parfois ils parlent en dormant
Chuchotent à l’oreille de la terre
Je les goûte un à un, les mâche en silence
Écrasés sous la langue
Dans un grand calme lourd et sans fêlure
Ils ont la densité d’un corps bandé
L’âpreté qui racle la gorge
La fraîcheur d’un vent de matin
(…)
Je cherche depuis toujours leur densité de chair
L’onctuosité de leurs courbes
Leur tremblement sous les ratures
Descente sous le langage
Sous la croûte des mots
Là où rien ne parle
Plongée dans leur opacité
Là où quelque chose palpite
(…)
Tout commence par des mots qui ouvrent les portes
Qui balaient les vieilles peurs accrochées aux murs suintants
Qui aèrent l’esprit et allègent le cœur
Des familles se sont formées au fil du temps
Des tribus reliées par de secrètes alliances
Elles accompagnent mes rêveries
Petites graines semées dans le champ de mon imaginaire
Les mots s’accrochent aux parois de la mémoire
Comme si le temps rechignait à filer
Pour ne pas les perdre
Je les dessine à même la table, gravés dans le bois sombre
Ils s’empilent en dominos instables
Construisent des cubes de silence
Ils refusent de céder, me guident selon leur bon vouloir sur des chemins inconnus
Dans l’équivoque du sens, ils montrent la route
Nudité de l’âme
Pour aller plus loin que soi
Pour éclairer l’absence
Ils déplient le livre dans leur chahut d’oiseaux
Ailes frémissantes dessinant leurs volutes dans un ciel crépusculaire
Nuée étourdissante
*
D’abord sont arrivés les mots « plis, pliages, pliures »
Ils sont entrés dans la chambre amenés par la nuit.
Des mots aux sonorités ouvertes sur un monde où rien n’est droit, lisse, ou rectiligne.
Des mots qui disent la cassure, l’accident dans la perfection des lignes, qui créent une brisure, qui enchantent et offrent la perspective d’histoires accidentées, risquées.
Les « plis, pliages, pliures » ce furent d’abord les cassures dans les tissus qui m’attiraient follement dans l’enfance.
J’observais avec une attention têtue les vestes des anciens patinées par l’âge. Elles leur ressemblaient.
Comme grattées à la râpe du temps, elles blanchissaient dans la lumière crue du jour.
Elles portaient leurs blessures d’étoffes, leurs plis de fibres usées.
Elles m’émouvaient comme une plaie dont on caresse le petit bourrelet de chair laissé après la guérison.
Longues cicatrices du temps.
Frissons des choses vécues sur la peau.
Poids des mots dans la main.
Un vêtement marqué par une pliure creusée dans la toile est un être mutilé, sa trame entamée implore en silence.
Dans ses plis, il y a le caché, le tu, le secret.
Des mondes inconnus s’y déploient.
*
Dans l’armoire, entre les draps pliés les mots se glissaient en attente d’une histoire à écrire.
Ils reposaient sagement de longs mois dans la douceur du coton parfumé, avant de s’échapper des plis.
Partant de ce pli de tissu qui marque la frontière entre deux mondes, deux âges, deux temps, j’ai construit un univers.
J’ai retrouvé la trace du quotidien d’autrefois.
Un monde plié dans des gestes répétés, encore et encore, jusqu’à l’étourdissement.
Quotidien sans mots, inutiles à dire.
Quotidien de gestes qui se suffisent.
*
La mémoire consentait à poursuivre sa remontée du temps. Elle tirait le fil.
« Habits, habiter, habitus », être là, vivre ici.
Habiter un lieu pour mieux le lire, introduire la lecture du lieu dans chacune des heures du jour.
Créer un espace où se confondent dans le temps, les choses qui s’installent et nos vies qui s’étirent.
Ici s’ouvre la porte des mots de la maison, de l’abri, du refuge.
Ils m’ont accompagnée très tôt.
Grand corps de langage souple à mes désirs, enveloppe qui recueille la substance des lieux.
*
Mots des lumières fauves quand le jour s’éteint, que le soir étend son emprise entre les murs, quand la voix calme de la nuit envahit la maison, qu’il faut retenir son souffle pour ne pas crier.
L’emprise des mots s’étend aux objets.
Comment nous tiennent-ils en haleine, nous saisissent-ils ?
Comment changent-ils notre respiration ?
Les mots se cognent les uns aux autres.
Vacarme de voix anciennes d’objets dépareillés, de vaisselle ébréchée, de porcelaine tâchée, de verres dépolis, d’argenterie ternie.
Un monde immobile descendu de la nuit pour reprendre les légendes familiales, écrire l’Histoire de nos aïeux.
Les objets se soustraient à leur utilité, ne conservent que l’essence de leur existence.
Ils se suffisent à eux-mêmes.
On pourrait tout quitter mais pas se détacher de leur obsédante présence.
Habitudes laissées derrière soi et retrouvées comme un coussin marqué de l’empreinte du corps après une sieste.
Regarder le monde de nos objets à travers les mots pour mieux se voir soi-même en trompe l’œil.
Greniers de mots accordés aux exaltations de l’enfance, rivages où viennent s’échouer les objets silencieux, rescapés d’un naufrage oublié.
Greniers où dorment les souvenirs accablés de leur inutilité, fatras menaçant quand il perd son pouvoir d’émerveillement.
*
Quand les formes deviennent mots. Quand le monde se met en langue.
Fête de l’aube.
Festin du crépuscule.
Émerveillement de cet appel lancé à enchanter le monde, réjouissance chaque jour renouvelée.
Lumière tremblante sur le bord de la coupe.
Rondeur des formes. Oui, la terre tourne bien sur elle-même.
Éclatante rondeur de la toupie qui tangue autour d’un axe.
Terre habitable, habitée.
Séjour humain.
*
Les langues portent tous les secrets des terres où elles sont nées.
Leurs foisonnements, leurs accents, leurs couleurs m’enivrent.
Leurs mystères enfantent d’irrépressibles attractions.
A les écouter se percuter, à les entendre se frotter les unes aux autres, à les sentir se croiser, à les voir mêler leurs eaux profondes, on sait que jaillira une humanité composée de mille facettes.
Telles les mailles d’un vaste filet jeté au sol, elles tamisent le réel, retiennent des grains de sable ou des cailloux. Elles ramènent des morceaux différents du monde, l’ouvrent à leur rythme singulier, le plient ou le déplient selon un souffle qui leur est propre.
Elles ordonnent autant de visions d’une même réalité. Gardiennes aux bords de l’univers, elles nouent et dénouent les liens, ouvrent les portes, restent aux aguets, sans lumière et sans arme.
Temps de l’insurrection dans la langue, lorsqu’au seuil des lèvres, au bord du souffle, c’est le cri d’abord qui jaillit.
*
Quand le fleuve retourne à sa source
Que s’achève le périple au bout de longs jours à longer ses rives à contre-courant
A traverser les eaux glacées
A parcourir les falaises creusées de ravins
Enfouis au plus profond, les mots insoumis se figent comme des statues de pierre
Rentrés dans la gorge, on ne peut plus les atteindre
Ils ne pourront plus être proférés
De peur qu’à trop toucher le secret il s’éteigne
De peur qu’à trop les prononcer les mots retombent en cendre
Murmurer avant de se taire
La terre témoin retient son souffle
Alors retombe le grand silence immuable et grandiose qui entoure les mots
Le vrai silence qui vient au bout des mots
Au chevet des lits
La solitude du premier livre, je la garderai à jamais
J’étais seule et je voulais embrasser la mémoire du monde
De ville en ville
De lit en lit
Le livre a grandi
Dans le geste lent et maladroit du mot balbutiant
Au chevet des lits du monde où je me suis glissée
J’ai laissé quelques traces
Elles attestent ma présence
Elles disent que j’ai bien dormi là
J’ai dormi dans tant de lits
J’ai emprunté tant de chemins pour arriver jusqu’à moi
*
Les lits du monde
J’ai vu l’insurrection des terres désertes d’Afrique
J’ai traversé les ciels d’orage
Les îles bleues
Les mers chaudes
J’ai connu les profusions verdoyantes des collines d’Asie
J’ai passé des frontières
Franchi des caps
Marché sans répits, insatiable
Ivre d’une quête sans fin
J’ai vu les yeux agrandis des enfants
Les corps amaigris, les pieds calleux
Les blessures noires, les peaux flétries
J’ai bu les eaux saumâtres des longs fleuves paresseux
Emportée par les courants
J’ai nagé dans les eaux claires
J’ai caressé des corps
J’ai dormi dans les lits du monde
*
L’origine
J’ai tant de fois changé de ciel
J’ai tant de fois changé de visage pour atteindre une vérité
Tant de fois dompté les chaos de mon cœur
Tant de fois éteint les soubresauts de mon âme
J’ai tant de fois voulu me délester
Renoncer à toute lignée
Mais la cadence du monde n’y suffisait pas
Une brutale et nécessaire traversée des choses me faisait arpenter la rase campagne
Tout y était encore en l’état
L’origine du monde s’offrait à mon regard
Pour échapper au chemin tout tracé
Pour dessiner le mien
Je me suis brûlé les yeux sous les lampes
Accrochée aux mots
Le cœur chahuté
Appelée par le monde
Je vivais loin de mes appartenances
Honnissais le mot racine
J’ai fini par accueillir mes ascendances
Leur ai fait une place au creux du lit
Les ai laissées se réchauffer
S’ancrer en moi
J’ai dormi dans tant de lits
J’ai emprunté tant de chemins pour arriver jusqu’à moi
*
Lit 2
Longtemps j’ai photographié les chambres où je dormais
Les lits défaits
Les fenêtres voilées
Les ronds de lumière sur les draps froissés
Les grains de poussière dorés
Les rideaux longs aux fenêtres ouvertes
Soulevés nonchalamment comme une respiration dans l’air
Les corps des hommes à mes côtés
La soie des peaux aux épaules
Les nuques tendres dans l’abandon
La douceur des paupières closes
Et autour le grand silence
J’ai dormi dans tant de lits
J’ai emprunté tant de chemins pour arriver jusqu’à moi
*
Chambre claire
J’ai rêvé une chambre claire
Des voiles de fenêtres soulevés par un vent chaud
Gonflés au rythme de l’air lourd
Une demeure lointaine
J’y étais de passage dans un lit immense, perdue
J’y dormais nue
Chambre lointaine et éphémère où se déposent les corps
Amants au creux des draps
Les voiles découvrent l’invisible
Le ciel porte mes rêves
Le lit m’embrasse
Lumière dehors signant le jour
*
L’attente
Écrire c’est attendre
Attendre que les mots arrivent
Égrenés au fil des heures lentes
Étirés vers une invisible frontière
Perles d’un patient collier
Ils roulent dans les embrasures de la nuit
Ne pas les laisser tomber par inadvertance
Ne pas trop les couver non plus
Éphémère construction riche de ses seuls doutes
Ils mordent la chair du rêve
Dans le buisson du sommeil
Ils s’envolent sans un cri
Au matin, les mots renaissent sauvages et impétueux
Énigme du souffle toujours présent
Aussi fragiles qu'un songe chevauchant le petit matin
Avant de se perdre dans un ailleurs broussailleux
Ils glissent sur l’or des fenêtres
Tissent un voile somptueux au banquet du jour
Un chant s’invente avec eux
Avant de disparaître emporté par un vent mousseux
Brûlure de l’attente
Proche d’une extase filée de mots paresseux
Écrire c’est attendre
*
Extraits de « Quand les mots ne tiennent qu’à un fil » éditions La Tête à l’envers, 2025
Les mots ont des mystères
Ils sommeillent dans les hauts-fonds de la langue
Ils arrivent dans un ordre qui leur appartient
Un ordre que nul ne connaît
Les mots inondent la vie
Une vie éblouie de noir
Sans eux démunie
Un soupçon de jour
Et soudain des marées d’ombres refluent
Mots de glaise humide
Hérissés d’aspérités
Double tranchant
Chair ouverte à son insu
Douceur d’argile
Au fond de la poitrine
Parfois les mots s’assoupissent à mes côtés sur le bord de la route
Parfois ils parlent en dormant
Chuchotent à l’oreille de la terre
Je les goûte un à un, les mâche en silence
Écrasés sous la langue
Dans un grand calme lourd et sans fêlure
Ils ont la densité d’un corps bandé
L’âpreté qui racle la gorge
La fraîcheur d’un vent de matin
(…)
Je cherche depuis toujours leur densité de chair
L’onctuosité de leurs courbes
Leur tremblement sous les ratures
Descente sous le langage
Sous la croûte des mots
Là où rien ne parle
Plongée dans leur opacité
Là où quelque chose palpite
(…)
Tout commence par des mots qui ouvrent les portes
Qui balaient les vieilles peurs accrochées aux murs suintants
Qui aèrent l’esprit et allègent le cœur
Des familles se sont formées au fil du temps
Des tribus reliées par de secrètes alliances
Elles accompagnent mes rêveries
Petites graines semées dans le champ de mon imaginaire
Les mots s’accrochent aux parois de la mémoire
Comme si le temps rechignait à filer
Pour ne pas les perdre
Je les dessine à même la table, gravés dans le bois sombre
Ils s’empilent en dominos instables
Construisent des cubes de silence
Ils refusent de céder, me guident selon leur bon vouloir sur des chemins inconnus
Dans l’équivoque du sens, ils montrent la route
Nudité de l’âme
Pour aller plus loin que soi
Pour éclairer l’absence
Ils déplient le livre dans leur chahut d’oiseaux
Ailes frémissantes dessinant leurs volutes dans un ciel crépusculaire
Nuée étourdissante
*
D’abord sont arrivés les mots « plis, pliages, pliures »
Ils sont entrés dans la chambre amenés par la nuit.
Des mots aux sonorités ouvertes sur un monde où rien n’est droit, lisse, ou rectiligne.
Des mots qui disent la cassure, l’accident dans la perfection des lignes, qui créent une brisure, qui enchantent et offrent la perspective d’histoires accidentées, risquées.
Les « plis, pliages, pliures » ce furent d’abord les cassures dans les tissus qui m’attiraient follement dans l’enfance.
J’observais avec une attention têtue les vestes des anciens patinées par l’âge. Elles leur ressemblaient.
Comme grattées à la râpe du temps, elles blanchissaient dans la lumière crue du jour.
Elles portaient leurs blessures d’étoffes, leurs plis de fibres usées.
Elles m’émouvaient comme une plaie dont on caresse le petit bourrelet de chair laissé après la guérison.
Longues cicatrices du temps.
Frissons des choses vécues sur la peau.
Poids des mots dans la main.
Un vêtement marqué par une pliure creusée dans la toile est un être mutilé, sa trame entamée implore en silence.
Dans ses plis, il y a le caché, le tu, le secret.
Des mondes inconnus s’y déploient.
*
Dans l’armoire, entre les draps pliés les mots se glissaient en attente d’une histoire à écrire.
Ils reposaient sagement de longs mois dans la douceur du coton parfumé, avant de s’échapper des plis.
Partant de ce pli de tissu qui marque la frontière entre deux mondes, deux âges, deux temps, j’ai construit un univers.
J’ai retrouvé la trace du quotidien d’autrefois.
Un monde plié dans des gestes répétés, encore et encore, jusqu’à l’étourdissement.
Quotidien sans mots, inutiles à dire.
Quotidien de gestes qui se suffisent.
*
La mémoire consentait à poursuivre sa remontée du temps. Elle tirait le fil.
« Habits, habiter, habitus », être là, vivre ici.
Habiter un lieu pour mieux le lire, introduire la lecture du lieu dans chacune des heures du jour.
Créer un espace où se confondent dans le temps, les choses qui s’installent et nos vies qui s’étirent.
Ici s’ouvre la porte des mots de la maison, de l’abri, du refuge.
Ils m’ont accompagnée très tôt.
Grand corps de langage souple à mes désirs, enveloppe qui recueille la substance des lieux.
*
Mots des lumières fauves quand le jour s’éteint, que le soir étend son emprise entre les murs, quand la voix calme de la nuit envahit la maison, qu’il faut retenir son souffle pour ne pas crier.
L’emprise des mots s’étend aux objets.
Comment nous tiennent-ils en haleine, nous saisissent-ils ?
Comment changent-ils notre respiration ?
Les mots se cognent les uns aux autres.
Vacarme de voix anciennes d’objets dépareillés, de vaisselle ébréchée, de porcelaine tâchée, de verres dépolis, d’argenterie ternie.
Un monde immobile descendu de la nuit pour reprendre les légendes familiales, écrire l’Histoire de nos aïeux.
Les objets se soustraient à leur utilité, ne conservent que l’essence de leur existence.
Ils se suffisent à eux-mêmes.
On pourrait tout quitter mais pas se détacher de leur obsédante présence.
Habitudes laissées derrière soi et retrouvées comme un coussin marqué de l’empreinte du corps après une sieste.
Regarder le monde de nos objets à travers les mots pour mieux se voir soi-même en trompe l’œil.
Greniers de mots accordés aux exaltations de l’enfance, rivages où viennent s’échouer les objets silencieux, rescapés d’un naufrage oublié.
Greniers où dorment les souvenirs accablés de leur inutilité, fatras menaçant quand il perd son pouvoir d’émerveillement.
*
Quand les formes deviennent mots. Quand le monde se met en langue.
Fête de l’aube.
Festin du crépuscule.
Émerveillement de cet appel lancé à enchanter le monde, réjouissance chaque jour renouvelée.
Lumière tremblante sur le bord de la coupe.
Rondeur des formes. Oui, la terre tourne bien sur elle-même.
Éclatante rondeur de la toupie qui tangue autour d’un axe.
Terre habitable, habitée.
Séjour humain.
*
Les langues portent tous les secrets des terres où elles sont nées.
Leurs foisonnements, leurs accents, leurs couleurs m’enivrent.
Leurs mystères enfantent d’irrépressibles attractions.
A les écouter se percuter, à les entendre se frotter les unes aux autres, à les sentir se croiser, à les voir mêler leurs eaux profondes, on sait que jaillira une humanité composée de mille facettes.
Telles les mailles d’un vaste filet jeté au sol, elles tamisent le réel, retiennent des grains de sable ou des cailloux. Elles ramènent des morceaux différents du monde, l’ouvrent à leur rythme singulier, le plient ou le déplient selon un souffle qui leur est propre.
Elles ordonnent autant de visions d’une même réalité. Gardiennes aux bords de l’univers, elles nouent et dénouent les liens, ouvrent les portes, restent aux aguets, sans lumière et sans arme.
Temps de l’insurrection dans la langue, lorsqu’au seuil des lèvres, au bord du souffle, c’est le cri d’abord qui jaillit.
*
Quand le fleuve retourne à sa source
Que s’achève le périple au bout de longs jours à longer ses rives à contre-courant
A traverser les eaux glacées
A parcourir les falaises creusées de ravins
Enfouis au plus profond, les mots insoumis se figent comme des statues de pierre
Rentrés dans la gorge, on ne peut plus les atteindre
Ils ne pourront plus être proférés
De peur qu’à trop toucher le secret il s’éteigne
De peur qu’à trop les prononcer les mots retombent en cendre
Murmurer avant de se taire
La terre témoin retient son souffle
Alors retombe le grand silence immuable et grandiose qui entoure les mots
Le vrai silence qui vient au bout des mots