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09/02/2011



L'invité du mois

Jean-Marie GLEIZE



BIOBIBLIOGRAPHIE

Depuis son premier livre en 1983 aux éditions du Seuil (Poésie et Figuration) Jean-Marie GLEIZE arpente les chemins de la « post-poésie » et de la création critique. En 1990, il publie le premier livre d'un cycle littéraliste (Léman, éd. du Seuil) et crée la revue Nioques dont il est toujours responsable. De 1999 à 2009, il dirige le Centre d’Études Poétiques à l’École normale supérieure de Lyon. Dernier livre publié : Je deviens, coll. Al Dante, Les Presses du réel, 2024. Il entre et sort des cabanes.


États de la main mémoire, éd. Chemin de ronde, 1979
Donnant lieu, éd. (dessins de Jean-Louis Vila),Lettres de casse, 1982
La nuit des dons, (dessins de Patrick Sainton) éd. Ecbolade, 1983
Poésie et figuration, Seuil, coll. Pierres vives, 1983
Comme Envers Dieu, (dessins de Jean-Louis Vila) éd. AEncrages, 1984
Puritas impuritatis, éd. Ecbolade, 1984
Instances, (dessins Jean-Claude Le Gouic) éd. Collodion, 1985
De Chant, éd. AEncrages, 1985
Game over, (polaroid de J-M.Gleize), éd. La main courante, 1986
Edition du Cahier de l’Herne Francis Ponge, 1986
Simplification lyrique, Seghers, 1987
Commencé par un mot, entre, éd. La Sétérée, 1987
Francis Ponge, Seuil, coll. Les Contemporains, 1988,
Couleur bord de fleuve, éd. La Sétérée, (Sérigraphies Patrick Sainton) 1988
Le temps n’existe pas, (dessin d’Apel.les Fenosa) éd. AEncrages, 1990
Circonstances, éd. La tuilerie tropicale, 1990
Poésie et littéralité, Seuil, coll. Fiction & Cie, 1992,
Film à venir (sérigraphies de Jean-Louis Vila), éd. La Sétérée, 1993
Tout doit disparaître, (gravures d’Agathe Larpent), éd. Collodion, 1993
Rimbaud comme, éd. Hachette, 1993
Ils sortent, (photographie d’Aliette Cosset), éd. La main courante, 1994
Le Principe de nudité intégrale, manifestes, Seuil, coll. Fiction & Cie, 1995
La poésie, textes critiques, XIVe-XXe siècles, Larousse, coll. « Textes essentiels », 1995
Le théâtre du poème, vers Anne-Marie Albiach, éd. Belin, coll. L’extrême contemporain, 1995
La nudité gagne, éd. Al Dante, 1995,
C’est-à-dire blancs, (crayons d’Yves Jolivet) éd. Le mot et le reste, 1996
Altitude zéro, poète etcetera, costumes, éd. Java, 1997
Jacques Clerc, stylite, éd. La Sétérée, 1997
Naître encore, éd Al Dante, 1998
Les Chiens noirs de la prose Seuil, coll. Fiction & Cie, 1999
Non, éd. Al Dante, 1999
Quelque chose contraint quelqu’un/ Something compels someone, bilingue, éd. Al Dante, 2000
Nu dénudé, (gravures et photographie de H. Maccheroni), Manière noire éditeur, 2000
Télévision, Vice versa, 2001
Edition de la revue L’In Plano de C. Royet-Journoud, éd. Al Dante, 2002
Néon, Seuil, coll. Fiction & Cie, 2004
D’où vient la lumière, (avec P. Sainton et B. Plossu), Images en manœuvre éditions, 2004
Quelque chose continue, Créaphis, 2006
Film à venir, Seuil, coll. Fiction & Cie, 2007
A7-A51, « Feuillet d’album », 2007
Sucre noir (gravures de Jacques Clerc), éd. La Sétérée, 2007
Il faut dire le nom des choses, bilingue, trad en italien par M. Zaffarano, Bisogna dire il nome delle cose, éd.HDH, 2009
Une histoire de la poussière/Una storia della polvere, éd. La Camera Verde, Rome, 2010
Tarnac, un acte préparatoire, Seuil, coll. Fiction & Cie 2011
Nous, le livre J., éd. Ink, 2012
Sorties, Questions Théoriques, 2014
Tarnac, a preparatory act, translated by J.Clover, Chicago, Kenning Editions, 2014,
Édition de la Correspondance Francis Ponge/Albert Camus, Gallimard, 2014,
Sorties (rééd. augmentée)) éd. Questions théoriques, 2014
Les Callunes, La Sétérée, 2014
Le livre des cabanes, Seuil, coll. Fiction & Cie, 2015
Littéralité, éditions Questions théoriques, 2015
Ou comme un trou (photographie de Françoise Nunez), coll. « invisible pull », Arles, 2015
L’histoire de la poussière (encres de Giney Ayme) éd. Rencontres, coll. Tête à texte, s.d.
Ces demeures (dessins d’Agathe Larpent), éd.Au coin de la rue de l’Enfer, 2015
La Grille, éd. Contre-Pied, 2016
Trouver ici, Seuil, coll. Fiction & Cie, 2018
En vraie pauvreté (photographie de Claire Cuénot), éd. Collodion, 2018
Denis Roche, éloge de la véhémence, Seuil, coll. Fiction & Cie, 2019
Cibles, éd. PLI, 2020
Dans le style de l’attente, Les Presses du réel/ Al Dante, 2022
Jusqu’à ce que l’écran se vide (polaroids et cibles de J-M. Gleize), éd. Zoème, 2022
La mort du roi, (linogravures d’IEAU d’après Frédéric Coché), éd. En Fait Des Objets 2023
Je deviens, Les Presses du réel/Al Dante, 2024
Huit mots de lisière, sur des œuvres de Titus-Carmel, Tarabuste, 2024
Mesure de l’ombre, (une encre et huit dessins de Gérard Titus-Carmel), éd. Tarabuste, 2024




EXTRAITS

Le chant qui se voit





« Des volumes qui jouent gagnant, de jour comme de nuit ».

Il y a d’abord, l’attente. Le temps. Etre dans le temps, comme dans une pièce, un espace. Le respirer, le tendre, le toucher. Se voir dedans, comme en miroir. Le temps de la réflexion, sans raison, sans rime ni raison, sans réserve, le temps d’être obscurément.

C’est dans ce temps que s’accomplit la construction, d’abord mentale. Une forme est donnée, trouvée, tracée. Dégagée. Puis accueillie, faite, mesurée. Menuisée. C’est alors que s’y joue le geste, mouvement, danse : la peinture.

Quelque chose sera caché, le bois, recouvert, sera caché. Dansé, tatoué.

Enfin, comme une secousse, la lumière. Un simple trait. Contre le bois, le trait, la lumière. La ligne fixe, interminable. Pour des objets sans limite, pour trouer le temps, le signer.

Night and day, le signer. (1985)











Je recopie cette enfance dont je ne sais rien. Je recopie cette enfance dont je ne sais rien. Je recopie cette enfance dont je ne sais rien.

Plusieurs fois recouverte.

La même rue monte et descend jusqu’au passage. Je resterai longtemps à ne plus le voir. A l’imaginer sombre et plus ou moins courbe, et puis fermé. Fermé pour toujours, creusé pour rien dans la mémoire. Coupé. La rue donnait sur le passage, qui montait lui aussi entre les murs.

Je ne vois plus que le sanglier de bronze. De plus en plus noir, immobile et noir. Inutile.

Le passage n’a pas de nom. Il ne faut pas qu’il ait un nom, aveuglément franchi. Recopié lui aussi, tous les jours, jusqu’à ce qu’on l’interdise.










La pièce est un lit d’émeute. Le vent coule à contre trame. Je suis là, en position d‘iprès, je vois la figure indienne, cachée dans le tapis.

« Ici la langue est entre les mots ».

Les murs se vident. Je retiens un instant le souffle. A mesure elle oblige la lumière. Plus près.

« J’ai dit toujours, immer ».

Une deuxième chambre dans la première chambre. Et rien, seulement quelque chose de beau. Beaucoup plus bas encore la rue ne cesse de couler, comme le vent, et de plus en plus froid. La synagogue est fermée, Les Tournelles, rideau rouge et lourd et qui ferme la porte.

Comme un jeu, les blocs de sucre blanc.

C’est ici que je marche. Il n’y a plus de temps. La langue ou ces linges. Il y a des secondes de pluie et des secondes de silence. Je dis « ce n’est rien, seulement de froid ».

Je confonds la rue et le couloir. Je ne sais pas d’où vient ce bruit métallique. Ou le reste d’un chant. (1950, 1955)











La nuit, à la renverse. La nuit horizontale, ses trous, bouche ouverte. Musicale, prolongée dans le corps, dans la nuit d’elle-même, coulant de cette nuit à elle-même, indifférente. Et vers cette indifférence, le vert du noir qui envahit le triangle, un vent, la poussée circulaire et asphyxiante, l’écoulement sec.

Pour quoi encore, la répétition du verbe couler. Le couloir, la coulure. A droite à l’angle du coffre, la chambre nue, devant la rue, flottant sans aucun bruit ou ce reste d’un chant, le chant qui se voit

« Je la suis, elle saute en avant, le rideau se ferme ».

Il y a un ciel d’huile, de suie et de terre. Il vient. Au fond, lentement, une sorte de tertre. Le retournement de la peau, sa désunion sous l’acide. Le sommeil.












« Et l’image se retire. Elle n’était venue que pour le frapper ».



Cette fois la main glisse. Il n’y a plus de ciel. Il tombe en poudre noire, graviers de plus en plus lourds. C’est l’histoire de la poussière. Un ciel de sommeil. Il se confond à la terre, à la surgace agitée de l'eau et envahit la tête. Il s’enfonce.



Les racines. « Elles tiennent l’une contre l’autre, il n’y a plus de bords »



L’étau, et tout le poids de la rouille entre ses yeux.












- Eux si proches encore de moi loin.











Guidé par les bras coupés de l’Aurige. Lumière crue. Montée vers l’Absente à sa voix. Tout près du trou de pierre à Delphes (1965 ?)

Cheveux noués, regard fixe, mouillée d’une fontaine, mâchant des feuilles de laurier.
Dans le chaos et le vent, et le Serpent de Delphes.


Le Pletzl, 1946 et suivantes. Toupies des hivers.


Ne sait où la Pythie revenue à l’angle des Tournelles, dans la poussière de cet angle droit, loin du passage, et proche, tout près des Ecouffes et des Rosiers. Les Ecouffes, une étoffe, un oiseau de proie. Il vole au-dessus de ces ruines. Ses ailes, ouvertes, couvrant la rue. Un parfum de poivre au sol, ou bien le souffre. Et le trou des Absentes, ou des tuées loin de la rue vide. L’Aurige passe à toute allure entre les restes des boutiques et des cabanes.










Une mezouzah oblique, de bois doré.

Comme si venait le visage de Fayum, ses colliers de grain blanc, le support peigné d’encaustique. Ce visage, répété cent fois dans le rêve et le mot « bois flotté », collé sur les paupières.

« Il y a une règle secrète ».

Les trois dernières pages étaient blanches. Quelqu’un avait détruit toutes les portes. Il suffisait d’attendre que certains mots viennent s’épeler sur la première page. Ce serait comme pousser la porte pour entrer.

Ou comme ces trois pierres rongées devant le rideau du temple. L’eau salie des trottoirs et les trois marches mouillées.

Mais toutes les portes étaient tombées. Et chacune des trois pages déchirées. Elles ne seraient plus qu’un tas de cendres rouges, avec les débris du signe de bois doré.













Si je parle, les mots ne sont jamais à la même distance.

En 1966 Anselm Kiefer passe trois semaines entre les murs du couvent de La Tourette. Il y fait l’expérience de « la spiritualité du béton ». Il marche encore dans le froid muet de ce grand Carré. Je n’ai jamais su si j’étais né le premier ou le deux d’un mois d’avril. C’était la nuit.

Cette nuit j’ai rêvé que je rêvais. J’étais au bord d’une rivière, ou d’un étang. Les sous-titres défilaient trop rapidement. L’herbe semblait malade. J’ai vu une main disparaître dans l’eau.

Kiefer marchait devant moi et c’est là que j’ai vu le segment de néon.



Jean-Marie GLEIZE

Dimanche 2 Juin 2024
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22/11/2010