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09/02/2011



L'invité du mois

José MUCHNIK



BIOBLIOGRAPHIE

José MUCHNIK
José MUCHNIK
Email : josemuchnik@gmail.com

Poète et anthropologue, né le 2 novembre 1945 dans une quincaillerie du quartier de Boedo de la ville du Buenos Aires, quartier où ses parents, immigrants russes dans ces terres, avaient jeté l’ancre. Son enfance s'est déroulée parmi des barils de plâtre et des tambours de kérosène, parmi des vagues d'exilés de diverses latitudes qui cherchaient un coin de calme pour vivre. En 1973 il obtient le diplôme d'ingénieur en génie chimique de l'Université Nationale de Buenos Aires. Peu de temps après, avec l’arrivée de la néfaste dictature militaire, il a émigré à son tour. Il réside en France depuis 1976, réalise un doctorat en anthropologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris et travaille comme Directeur de recherches à l'Institut National de Recherche Agronomique (INRA) jusqu’à l’année 2013. Il s’est spécialisé dans l’étude des cultures alimentaires locales, parcourant divers pays d'Afrique et d'Amérique latine. Co-fondateur du groupe « Traversées poétiques », écrit de nombreux ouvrages de poésie, des essais anthropologiques, sans oublier ses expositions de photographies … mais il préfère dire qu’il est « Josecito » de la quincaillerie, un habitué du bistrot Margot du quartier de Boedo d’une ville appelée Buenos Aires … qui peut-être existe.


Publications

Quinze poèmes pour la paix, 1985, Edition de l’auteur, San José de Costa Rica.

Huit poèmes pour perdre le temps, 1987, Ed. Calle Arbolada, Buenos Aires.

Le retour de Don Quichote, 1989, œuvre de théâtre inédite, SAE Buenos Aires.

100 Ans de Liberté et Coca Cola, 1990, Editorial Universitaria Centroamericana, San José de Costa Rica. Edition française, 2009, L’Harmattan France.

Proposition poétique pour annuler la dette extérieur (édition bilingue, espagnol-français), 1993, Ed. L’Harmattan, Paris.

Archéologie de l’amour, 1993, Edition de l’auteur, Montpellier.

Amazonie j’ai vu, (édition bilingue, espagnol-français), 1997, Ed. Louma, Montpellier.

Calendrier poétique 2000, 1999, Ed. Octares Toulouse.

Le Grain, le cœur et le mot, (édition française), 2001, Anthologie de poésie africaine sur les nourritures, Ed. Feu de Brousse-Sénégal / Cirad-France

Guide Poétique de Buenos Aires, Versión bilingüe, 2004, ed. Tiempo, Paris

Chupadero, 2006, romain, Ed. El Farol, Buenos Aires

Vers pour rêver et savourer, 2006, compilation, ed. Instituto de estudios giennenses, Jaen-España

Pan amor y poesía : culturas alimentarias argentinas, 2008, compilation, ed. INTA, Argentina

Tierra viva luces del mar, 2008, ed. Talleres Patagonia, Argentina.

Kasting, 2010, œuvre de théâtre inédite, SAE Buenos Aires.

Traversées Poétiques, 2011, ed. bilingue L’Harmattan Francia.

Activitées de diffusion litteraire

Co-fondateur en 2009 du groupe franco-argentin « Traversées poétiques »
(w.ww.travesiaspoeticas.com.ar)

Membre de la rédaction de la Revue « Souffles » (Montpellier-France) de l’Association d’Ecrivains Méditerranéens (www.revuesouffles.fr)

Organisation de diverses manifestations poétiques à Paris et à Buenos Aires (Unesco, Maison Argentine de Paris, Ambassade Argentine à Paris, Alliance Française de Buenos Aires…)

Corresponsal du journal culturel “Generación Abierta” (http://www.generacionabierta.com.ar/generacion.htm)

Corresponsal du journal “Desde Boedo” (www.periodicodesdeboedo.com.ar)







EXTRAITS DE TEXTES

José MUCHNIK
Ceci n’est pas de la poésie

Le monde un déchirement
¡Le royaume de l’écran sur cette terre! facebook, youtube, linkedin… tous connectés, tous sourdaveugles, montrer cybervisages, seins tatoués, culs en filigrane, fêtes tralala… illusions d’exister. Montrer des amourettes de morue, sushis Fukushima, tagliatelles Berlusconi, poèmes mascarpone… Personne n’existe, tous implorent des bouchées de tendresse, quelques miettes de cœur frais, tambours rythmes peaux, sang tiède, écoutez le.
Plagiat poète, plagiat , ceci n’est pas une pipe, ni poésie, ni monde, le monde existe de l’autre côté du tableau, pleuvent des parapluies, des cages pigeonnées, des têtes sans visage, pleuvent des œufs, des pommes, des drones , Superman a trahi, personne n’échappe, urgence poétique, urgence d’une autre lumière, de perforer l’œil unique, de voir à travers des mots brouillard les couleurs et reliefs que pourront tracer la sortie du labyrinthe.
¡ Ceci n’est pas de la poésie! C’est un cri, poètes impurs, langues diamant contre des vinyles rayés, vociférant, ululant, catapultant des sons par-dessus les murailles du langage, déchargeant des béliers contre les portes du verbe, capituleront les vers pâtissiers et les castes grammaticales. Tu as échoué Platon, nous retournons à la cité interdite, poètes en cri nous viderons de leur sens les héros jet-set et leurs fausses acropoles, soulèverons des pavés, la lave en éruption jaillira créant des nouvelles voix jusqu’à prononcer « joie ».
¡Ceci n’est pas de la poésie! Ceci est un témoignage, bouteilles à l’espace depuis les seuils du troisième millénaire. Ceci arriva, ceci arrive.
¡Personne n’existe! ¡Globalisation! ¡Grande Globalisation! ¡Mots bulle! ¡Crever des mots creux! Aujourd’hui festival des tripes, humanité machette, Bangui, Homs, Falluja, Juba, Kidal… ¡Paroles ville! Paroles terre, maison, table… paroles massacre ¡Zzzzzzz! ¡Gggrrrrmmm! ¡Pppffff!, voyelles asphyxiées, des sons se rapprochent, explosent, ¿Comment sauver des voyelles en agonie? ¿Quelle transfusion? ¿Quel groupe littéraire? ¿Sanguin…? ¿Comment éviter l’invasion de langues métalliques? ¡Aujourd’hui grande démonstration! ¡Souriez, Souriez! ¡Monde imagivore! Nous dévorons des images, famines, guerres, fêtes, buts spectaculaires, stars en vitrine, cocus célèbres… ¡Ecran brouillé! ¡Grande omelette XXI! Garçon, encore un verre. Aujourd’hui trafic d’enfants femmes reins… Aujourd’hui conférence du gesept, gehuit, geneuf, gevingt… je, je, sourires gagnants, marionnettes dirigeantes, des photos digitales font le tour du monde en quatre-vingts secondes, les marionnettistes conservent l’anonymat, eux décident, tirent les ficelles de bourses brisevies, sefikill insatiables, gens jetable, gens déambulant par les rues chemins mers, expulsée des terres fabriques foyers…
¡Ceci n’est pas de la poésie!, c’est un cri, bouteille au futur… ¿Personne n’écoute? ¿Personne ne répond? Le monde un déchirement ¡Fous d’Argent! ¡Fous de Dieu! ¡Fous de Pouvoir! ¡Fous du Nombril!...ils étirent, étirent, étirent… danseuses clowns mères arbres fleuves vallées, écartelés par de fous étirements. Aujourd’hui campement tsigane brûlé, avortement interdit ¡tu accoucheras tes enfants dans la douleur!, femmes en burka repoussant leurs désirs, femmes violées, prêtres pédophiles, traditions sacrées, innocents spéculateurs, autels exigeant les sacrifices boursiers, agneaux vierges têtes châtiments divins…
¡Fracturation! ¡Grande Fracturation! ¿Comment renaître? ¿Que disent-ils? ¿¡Existons nous encore!?
¿Encore des jeunes embrassés?
¿ encore des utopies de miel?
¿ poètes à la lune?
¿bistrots en bavardage?
¡Poète! ¡Poète! ¡Oui, nous existons! Regarde là…non, non, plus loin, plus, plus…ces tentes surgies du désert à l’orée d’un massacre. ¡Oui là bas! Au cœur du déchirement, trois filles flottant dans un nouage de poussière sur des cases de sable, elles volent, volent, volent …finalement elles arrivent au ciel… de la marelle.

JM.
février 2014
(extrait de « Déchirements » inédit)

Traduit de l’espagnol argentine par l’auteur en collaboration avec Catherine Jarrett.

Caractère identique

Si amour égal amour
orange égal orange
marteau égal marteau
côte égal côte

si chaque chose
chaque lune
chaque signe
égal lui même

Combien de palmiers tomberont asphyxiés
guettant une brise derrière les barreaux ?

Si chaque mot égal lui même

Combien de poèmes mourront empaillés
clamant la lumière pour leur vers ?

¡Inverser les égalités!
¡Perforer les apparences!
¡Découdre les langages!

Amour égal côte
orange égal lune
marteau égal écho

¿Et l’écho?
¿embrassera la nouvelle lune?
¿brisera la côte lointaine?
¿goûtera des tentations oranges?

Rien ni personne n’est égal à lui même
ni chiffres ni cartes
ni violons ni tambours
ni pommes ni poètes

Nous, pécheurs, convertirons tout
tambours en pommes
chiffres en violons
poètes en cartes

Resteront dans nos rêves
des égalités emmêlées

Ça suffit égal ça suffit.


Caractère réciproque

Si b égal c
c n’est jamais égal à b

Rien n’est réciproque

Si pluie égal vie
Si oiseau égal tendresse
Si couteau égal haine

Pas de chemin de retour

La haine ne revient pas au couteau
Ni l’oiseau à son vol
Ni la vie aux martyrs

Rien de réciproque
tout asymétrique

Mon visage dans le miroir
n’est pas mon visage

Ce regard fugitif
ne reflète pas mes prunelles

Ces lèvres étui
n’abritent pas ma voix

Ces rides simili cuir
traduisent d’autres douleurs

Ma main dans le lac
n’est pas ma main

J’ignore où elle plonge
ni pourquoi elle se mouille
si elle cherche un désir
un éventail papillon
ou des rêves enfouis
dans le lit du fleuve

La clé dans l’œil
n’est ni ma clé
ni mon œil

Rien de réciproque
tout asymétrique


Les exceptions existent
je crois aux miracles

Lorsque regard égal amour
vies retournent aux sources



Parallèles et perpendiculaires


Parallèles

¿Se toucheront-elles en un point ?
¿se plieront-elles sur le pénis de Jupiter?
¿éclateront-elles dans la vulve d’Aphrodite?

¿Voyager jusqu’à l’infini?
¿interroger le roi nu?
¿ouvrir des horizons interdits?

¡Inutile!

¡L’infini a campé dans la ville!

Entre bourses indices codes
entre câbles claviers souris
écouteurs lèvres solitudes

¡Infinies lignes parallèles!

Lierres virtuelles
entre balcons castrés
se balancent sans s’effleurer

¡Infinis mondes bulle!

Cœurs mousseux
cherchant leur enivrement
dans des artères anonymes

¡Mains infinies qui attendent!

La lecture de ses lignes
festivals de tiédeur
paroles de la peau

Ici et maintenant: rues, fabriques, écoles, hôpitaux, laboratoires, prisons, bordels, ministères, îles de la tentation, championnats de toute sorte… Mondes infinis de tous âges, de tout chiffre, de toutes densités: une main seule, deux nostalgies sèches, sept épées accrochées… Belote, rebelote, rien par ici rien par là bas disparu… ¡Rien ne va plus! …et pourtant ça continue, les pleurs continuent, l’enfant dans son patio, la vieille dans sa maison de retraite, la prostituée dans sa chambre… …Infinis mondes parallèles bouillonnant.

¿Et les perpendiculaires?

Quatre psaumes funèbres à quatre vingt dix degrés déterminent un cimetière. Dans le saint rectangle se réunissent les morts, ils blaguent sur les vivants en orbite, ses vanités en poupe, ses égoïsmes en érection, ses temps craquelés. Ils imaginent des philosophies pour en sortir: soudoyer des cerbères, des anges en en rut, effacer des frontières. Ils demandent plus de vie dans la mort, du sang endiablé, instants incandescents qu’illuminent le noir séjour. Ils demandent plus de mort dans la vie, des os messagers dans des instants éphémères dévoilant le sens de battements en transit.

Hypothèse: parallèles et perpendiculaires n’existent pas, elles ne sont qu’illusions de regards plats.


Décembre 2011 (extrait de « On n’est pas un »
Traduction de l’espagnol argentine : Sara Yamila Muchnik, Yann Henaff)

DECOUVERTES

I Prologue


Il n’y avait

ni feu
ni colonnes
ni charrues

Il n’y avait

ni drapeaux
ni parapluies
ni dictionnaires

La Terre seule

A-t-elle existé
la Terre seule ?

Sans mollusques
ni chéloniens
ni vertébrés ?

La Terre seule ?

Sans miroirs
ni chiottes
ni Coca-Cola ?
Oui !
La Terre seule !

Il n’y avait pas de cintres
pour bercer
la fatigue des chemises

Pas d’usines pour soutenir
en érection
les cheminées

Il n’y avait

ni carrelages
ni Mc Do
ni ciseaux

La Terre seule

Sans robinets
ni garde-boue
ni lave-vaisselle
...
Au commencement
la Terre
...
dos à la poussière
face au ciel
pleine d’étonnement
de lumières et d’univers

Au commencement
le Royaume des Lumières
le Royaume des Ténèbres
et l’homme
ensuite


II Découvertes extrêmes

Ensuite la vie

Entre le premier souffle

Quand l’enfant découvre
au-delà du doux téton
la Lagune Solitude
des couches ou des urines en pleur

Et le dernier soupir

Quand après les rôles et les opérettes
le moribond retrouve
la solitude originelle
de l’enfant dans sa pisse

La vie

Une découverte
entre deux solitudes

Et l’homme découvrant
découvrant sans cesse !

III Découvertes fondamentales


Il découvrit la roue
et le secret du cirque
traîna les clowns
au-delà de l’apparence

Il arracha aux ombres
le secret du feu
et les traces depuis lors
ont le goût des cendres

Il découvrit la hache
et son coup étouffé

La flèche
et son destin

Le marteau
et sa mémoire

L’homme découvrant
découvrant sans cesse !

Il découvrit l’esclavage
et la hauteur des pyramides

Il découvrit la monnaie
et la profondeur de la fortune

Il découvrit la guerre
et le volume du sang

Il découvrit ensuite

le confort des chaises
la machine à vapeur
et la sueur du front

et ainsi nous avons
élevé peu à peu
la grande muraille

Sur la boue devenue muette
entre des murs de terre battue

Sur des secrets profanés
entre des zéros éventrés

Sur des ciels endoloris
entre des encriers vides

Ainsi nous avons
élevé peu à peu
la grande muraille

Les grandes vérités
de vingt sur vingt

Sur des dalles
en béton hypothéqué
Le Monde Merveille
dont nous jouissons tous

IV Découvertes banales

Le bouton découvrit un jour
qu’il se découd malgré lui
alors que dansent les aiguilles
dans d’autres carnavals

Le pendule un jour découvrit
qu’il n’était plus remonté
alors que les mains absentes
applaudissaient d’autres clowns


Même les bouchons
un jour découvrirent
des calendriers flottant
cérémonies en aval

Et un jour la mer découvrira
la trahison des écumes
qui sont parties violettes
jouer sur d’autres lunes

Tous nous découvrirons un jour
transis par le froid
les couvertures en partance
pour tiédir d’autres plaines

V Découverte finale

En sa petite cavité
la cuillère découvre
le Monde Merveille
s’égoutter malgré lui

- Monde !
- Reste dans mon creux !

La cuillère voudrait
retenir le monde
recroquevillé
dans son souvenir concave

Mais le monde ennuyé
de guerres et progrès
répond sans rancœur à la cuillère

- Je ne peux plus lutter
contre la certitude
des couteaux

- Je ne peux plus supporter
la voracité
des fourchettes

Et le monde se suicide
dans un petit bruit de soupe
sur le silence ouvert
des nappes blanches

VI Découverte posthume

(Habitants d’une autre galaxie
le chef de l’expédition explique)

- Ici vécurent les cocacolants, êtres étranges qui découvrirent un jour la bouteille vénérée qui donna son nom à la planète
On dit qu’elle contenait des vérités et des écumes incertaines

Mais tellement
de vérité accumulée
et tellement
d’écume déconcertée
que dans leur science
un jour ils s’éteignirent

Ils disparurent au commencement
de la nouvelle ère
Vers la fin
de l’Âge de l’Apparence

VII Septième

Au commencement
le Royaume des Ecumes
Le Royaume de Coca-Cola
et l’homme
ensuite.

(extrait de 100 Ans de Liberté et Coca Cola, 2009, L’Harmattan France
Traduction de l’espagnol Argentine, Maïra Eva Muchnik)




AMAZONIE J'AI VU

J'ai vu

la forêt palpiter
comme un tambour de sang

la forêt ouverte
comme un amour inespéré

la forêt en cri
comme un fleuve aveuglé

un fleuve sans lit
comme des chevaux de pierre

fuyant effrayés
vers d'autres royaumes

J'ai vu

les fronts humides
d'une antique sueur

des nuits éclairant
des vertes mélodies

et l'épaisseur des rêves
dans les champs déchirés

J'ai vu des enfants jouer
comme jouent les enfants

j'ai vu des enfants sourire
comme sourient les enfants

j'ai vu des enfants travailler
comme travaillent les enfant

jouant comme des grands
leurs vies dans la main

J'ai vu des arbres

arbres abattus
comme des grands-pères centenaires

arbres la chair à vif
comme des rois solitaires

arbres suppliant
la venue d'autres cieux
[…]
J'ai vu l'espérance

une branche bourgeonner
dans le souvenir des braises

un singe amoureux
une fleur dans sa bouche

un petit vieux très vieux
déchiffrant les nuages

et un enfant lumineux
dissipant les fumées

J'ai vu


les gracieux açais
danser avec la lune

les belliqueux babaçus
préparer le combat

les perroquets proclamer
la république rêvée

et un châtaignier dressé
comme un roi sans latitudes
déclamant des poèmes
pour le retour des oiseaux
[…]
J'ai vu

les lumières qui restent sur les lèvres
après le premier baiser

lumières qui montent sur le toit
pour demander une faveur à la lune

lumières caressant les troncs
pour deviner l'âge des blessures
[…]
J'ai vu un point

un point sur la terre
pour contempler ma hauteur

un point sur la colline
pour être feuille dans le fleuve

un point au pied d'un arbre
pour savoir si mes bras
sont branches ou illusions

J'ai vu un point

un point dans le temps
pour la concavité du repos

un point dans l'enfance
pour protéger la tendresse

un point dans la jeunesse
pour l'explosion des fleurs

un point sur mon âge
pour l'épaisseur des raisins

un point pour concentrer
la sève mature

un point
...
pour pleurer pour tous

pour la terre en cendres
pour les vaches innocentes
pour les arbres abattus
pour le deuil des oiseaux

J'ai vu
...
Amazonie
...
J'ai vu


Açaï : palmier de l’Amazonie, ses fruits rouge pourpre donnent une boisson très prisée, le vin d’açaï.
Babaçu : palmier de l’Amazonie caractérisé par ses grandes feuilles, utilisées dans la construction de maisons.
(extrait d’Amazonie J’ai vu Louma 1997 France ed. bilingue français – espagnol
Traduction : Maïra Eva Muchnik, Emmanuelle Lambert)




INTERROGATION ET PROPOSITION

1


Qui connaît?
Qui additionne?
Qui ose multiplier
la tromperie des comptes?

Que celui qui sait
Que celui qui sait ce qu'on ne sait pas
Que celui qui sait la sonorité sourde
des espoirs ouverts
sur une mer inconnue

Que celui qui sait

Combien font un plus un?
Combien font un fouet plus une rame?
Combien font une plage plus un destin?

Combien font une tempête sans ciel
plus une nuit précoce
dans la galerie de la mine?

Que celui qui sait diviser
les capuchons de coton
unis par le même chant

Les bras et les cannes
confondus dans le même vent

Que celui qui sait
Qu'il lance le premier chiffre !

Quelqu'un ose-t-il?
Quelqu'un sait-il depuis quand compter?

Si depuis ces jours anciens
où le temps couleur turquoise
se promenait parmi les dieux
Si depuis les heures opaques
où un pendule de plomb
commença à condenser le temps

Quelqu'un ose-t-il?
Quelqu'un sait-il quoi compter?

Quelqu'un sait-il
en quelles unités compter?

Humiliations en arrobes?
Cynisme en yards?
Ou fanegas de marques indélébiles?
Ou peut-être préférez-vous
comptabiliser la matière?

Tonnes de reflets
de l'argent abandonné?
Quintaux de caobe
apaisés dans l'écho
des lointaines cathédrales?
Ou hectares de vert précieux
arrachés aux Dieux
de jade et d'émeraude


2


Voyez-vous Messieurs
comme il est difficile de compter
Comme il est difficile de savoir
qui doit à qui?

Comme il est difficile de définir
si l'intensité du pouls
naviguant vers le nord
est plus grande ou plus petite
que le débit des billes de verre
à la quête du sud

Alors...
...
Si personne n'ose compter
Si personne ne sait qui doit à qui
pourquoi ne pas annuler les signes
et revenir à la concorde du zéro?
Pourquoi ne pas annuler les dettes
Sang chaud
et croyances rasées
contre milliards de papiers verts
estampés sur mesure

Pourquoi ne pas imaginer une ère nouvelle?

Une ère poétique pour vénérer les origines
(nous sommes frères
tu ne tueras point
et tu aimeras ton prochain comme toi-même)

Une ère poétique pour vénérer la terre
(pour lui demander pardon pour tout)

Une ère poétique pour vénérer le verbe
(pour lui demander qu'il revienne parmi nous)

Alors

Frères du monde
...
apprenez à parler
et à vous écouter autrement

(extrait de Proposition poétique pour annuler la dette extérieur 1993, Ed. L’Harmattan, Paris. Traduction de l’espagnol argentine : Rolland Treillo, Sara Yamila Muchnik)



Comme un coin de rue universel

« Le lampadaire de la rue où je naquis
fut la sentinelle de mes promesses d’amour,
sous sa douce petite lumière je l’ai vue
ma minette lumineuse comme le soleil. »

Mon cher Buenos Aires
Alfredo Lepera (Paroles)
Carlos Gardel (musique)



Les coins de rue de Buenos Aires… comment le dire… comment vous dire, cher passant…Inutile… les mots sur le papier s’effacent… S’il vous plaît sachez pardonner cette petite confession, je vous parlerai de mon coin de rue…

Ce fut cet après-midi là

Il y avait un balcon

la pluie

paroles perdues
échouant sages
dans des baies du présent

Pluie

pas sur des mers
ni des montagnes
ni des cathédrales

Pluie
d'un quatrième étage

Au point où se mélangent
couleurs avec tristesse
fécondant les teintes
qui inventeront d’autres jours

Pluie
de mon âge ouvert

exhalant le typique arôme
qui donne l’histoire humide
dans un coin de la poitrine

Subitement
je comprends les lois fondamentales

Deux rue qui se croisent
déterminent un point

Trois points transposés sous la pluie
génèrent une ville

Une ville projetée vers l’infini
transforme en poussière le pays qui la contient

Un pays
dans un globe giratoire
dans une foule d’astres ignorés
élève à la énième puissance
la valeur de la pluie en ce point
où se cherchèrent deux rues
pour former mon coin

Pluie
d’un quatrième étage

Sur le squelette inachevé
d’un immeuble qui ne fut pas
que des gens auraient habité
avec leurs odeurs indélébiles
leurs petits adultères
et leurs vêtements fatigués
pavoisant la ville

Elles sont là
balayées par la pluie
depuis tant de nuages
Dalles de béton
pensant sans défenses
au devenir des choses

Pluie

Sur l’ancien salon de coiffure
(de lui il n'en reste
que des mèches accumulées
dans les carreaux de mon enfance)

Pluie

Sur des tôles de zinc
(elles mourront à leur poste
en protégeant avec modestie
les fers qui vont et viennent
préparant les chemises
pour sortir en société)

Pluie

Sur mes fils
(ils restèrent ici
emmêlées dans ce coin de rue
Universel et Singulier)

Lui seul contenant
tous les coins
de toutes les rues
du globe giratoire

C’est pourquoi peu importent les noms
Mes rues pourraient s’appeler
Promenade des souvenirs et Dernières Billes
Vierge du Vestibule et Premiers Baisers
ou simplement Colombres et Pavon

Il n’y a rien à deviner

Tous les mondes
toutes les après-midi
à ce coin de rue

sous la pluie.

(extrait de Guide Poétique de Buenos Aires, Versión bilingüe, 2004, ed. Tiempo, Paris. Traduction de l’espagnol argentine: Guillaume Huett)








Lundi 10 Mars 2014
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Revue Cités N°73,
Effraction/ diffraction/
mouvement,
la place du poète
dans la Cité,
mars 2018.

Pour avoir vu un soir
la beauté passer

Anthologie du Printemps
des poètes,
Castor Astral, 2019

La beauté, éphéméride
poétique pour chanter la vie
,
Anthologie
Editions Bruno Doucey, 2019.

Le désir aux couleurs du poème,
anthologie éd
Bruno Doucey 2020.







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22/11/2010