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09/02/2011



L'invité du mois

LA FORÊT DES SIGNES (P3)

LA FORET DES SIGNES COMPREND PLUSIEURS PAGES.
VOUS POUVEZ ACCÉDER A LA PAGE SUIVANTE EN BAS DE CHAQUE PAGE.



SERGE CHAMCHINOV


ALBERTINE BENEDETTO

Depuis si longtemps que les mots
partent en caravanes

les hommes au soir
s’apaisent autour d’un feu
en mâchant leurs histoires

le monde bruit de leurs galops et de leurs danses

Didon la Phénicienne
Ulysse le Djerbien

suivent les routes tortueuses
des promesses et des fables

les sirènes ne sont jamais très loin

jusqu’à ce que le serpent du silence
invite au désert

***

Où que tu ailles
la terre porte tes pas
mais l’enfance
se tient
de l’autre côté

tu y plantes
tes arbres favoris
de loin ils te font signe
quand la nuit
tu poursuis
le compte

de ce qui fut

tu enjambes la mer
ton pas de géant
ébranle ton cœur

un jour
il faudra bien reposer
ici ou là
à l’ombre d’un olivier

***

À la fin de l’âge de cendres
nos mains se gantent de métal
nos têtes se hérissent

néo-ptérosaures
nichés aux fissures du monde
adorant des dieux fossiles

nous nous croisons sans nous reconnaître
migrant
des fosses du néant
à celles d’abondance

sous les enseignes nos angoisses
se tamisent de courant alternatif
la vie-papier de soie
se frisotte en couleurs
et se déchire d’un ongle

accrochés à des chimères
nous prodiguons nos désirs

Prométhées de pacotille
nous sautons de poussières en étoiles
éblouis par un éclat
mort depuis longtemps

nous perdons la mémoire des arbres
leurs têtes couronnées d’oiseaux
se dénouent en fumées

ô retrouver le chant de l’eau


Albertine Benedetto
inédit

site ::// www.liberlibra.com






PATRICK DUBOST

ART POETIQUE SONORE



Le poème sonore
s’écrit avec les deux mains
& sans le corps sonne à vide

livré délivré au présent perpétuel

ce poème le voir c’est l’entendre déjà

au futur il inscrira son présent bien sonore
quand dans l’obscurité le poète n'a pas d'autre
choix que de prendre dans sa baignoire des photos
avec un dictaphone & chanter sans gêner les voisins

il reste au poète analphabète la solution d’être sonore
& louer indéfiniment son corps dans les bibliothèques

un poète sonore
dans la campagne ne fait
pas plus de bruit qu’une mobylette

le poète sonore souligne par sa gestuelle
ce qu’il donne à entendre & se noie
dans les bruits du monde

les poètes silencieux
séduisent leur public depuis
leurs tours d’ivoire tandis que les
poètes sonores déclament à l'unisson
leur douce appréciation de la fin des temps
36 institutions françaises attendent qu’ils soient
enfin silencieux car il est admis de notoriété publique
que tout bon poète est un poète mort & que la poésie
blanche est à la poésie sonore ce que
le ping-pong est à la pétanque

le poète vit dans la lumière
le poète sonore sous les projecteurs

tout poète qui prend des cours de chant
n’est pas nécessairement sonore tandis que
celui qui ronfle en dormant oui celui-ci
est un instant sonore

le poète qui s’intéresse
au théâtre est funambule

tout poète sonore qui publie
est un poète sonore qui s’oublie

un poète sonore jamais ne parle que
la langue qui est dans sa bouche

tout poète sonore travaille dur
à durer dans l’éphémère

les poètes sonores sont
discoboles plutôt que bibliophiles

le poète du livre sanctifie le silence
tandis que le poète sonore assume sa gestuelle

la fanfare des poètes sonores est encore pour demain
le poète s’honore « de » ne rien tenir dans ses mains
le poète s’honore « de » n’être plus là le lendemain
le poète sonore étudie l’acoustique de son tombeau

le poète sonore ne répète pas : au pire il se répète
sound poetry ou spoken word disait-il en voyage
& le voici qui joue aux fléchettes avec un stylo

le mot « performance » est triste à mourir
le poète sonore écrit pour ne pas mourir
le poète somnambule privilégie l’action
le poète sonore écrit un livre sans bord
le poète silencieux existe-t-il encore ?

le poète sonore peut-il sonner
encore dans la mort ?


Patrick Dubost
Extrait retravaillé d’un texte dans « Œuvres Poétiques (tome 2) » Editions La Rumeur Libre, 2013

TANELLA BONI

Je m'en vais déclarant à chaque escale
Le permis de non-séjour
Inscrit sur les lignes de ma main
Je m'en vais emportant dans mon sac à dos
Le poids du monde
Car les ruelles de la traversée
Ont pris possession de mon corps

Je regarde demain avec les milliers d'empreintes
Qui peignent le fond de mon âme
Le chemin est encore loin
L'horizon n'est pas à nos pieds
Mais j'aime le chant des jours à venir
Et je suis partie tôt ce matin.

Tanella BONI
Toute d'étincelles vêtue, éd. Vents d'ailleurs, 2014
Envoi Jacques Fournier

THIERRY METZ

J’entraîne mes pas.
Dans une demeure que je n’attendais pas,
si frêle
où ma voix
comme une torche
s’éteint.
Ne s’entend plus
que sur un bûcher.
Mais la voix revient, chargée de foin :
Où sommes-nous ?
Quelle heure est-il ?
Il n’est que maintenant. Et c’est le livre. Et je n’ai rien trouvé d’autre. Mais je sème. Tout ce que je suis. Pour qu’il y ait un chemin au croisement de nos voix.
Je me tais.
J’écoute.
Un oiseau s’est posé sur moi.
Quelqu’un dans la haie a
ouvert un livre
malgré les épines
(...)
Il n’y a que des pas. Des pas derrière moi.
En reste
Ici, dans l’argile encore fraîche qui m’a lié au chemin.
Mais souvent ce mot va au feu. Très loin dans la chaleur. Dans ma voix il durcit. Alors dans l’achèvement il n’est plus qu’une tuile. Il couvre. Il préserve. Il protège. D’un autre feu.
Plus froid.
Je ne vis qu’en ce que j’ai à écrire. Ou, différé par mon silence : habiter. Là où je ne resterai pas.
Quelques pas hors de moi.
Jusqu’à toucher la haie.
En sortir.
Pour avancer
alors il me faut, comme si je ne voyais pas, toucher ma voix, lui chercher une porte ou de l’herbe. Lui faire dire ce que je cherche. Maintenant. Ainsi ce n’est pas de l’ombre que je recueille mais l’herbe.
Puis le nuage
ou le hêtre.
Avec ça je me fais une corde. Je suis dans mes mots. Jusqu’à l’écriture.
J’appartiens à ce qui est dit, au chemin.
Alors je peux charger le jour sur mon épaule et monter.
Et partir.
Vers la maison de mes mains.

Thierry Metz
In Terre, éditions Opales
envoi l'Antre lieu

WERNER LAMBERSY

(…)

Les mots sont des voitures qui
Passent et klaxonnent sur des
Bords d’autoroutes où frôlent
Les hurlements de leur vitesse

Et je marche épuisé, seigneur
D’une aire anonyme de repos
A l’autre entre de monstrueux
Camions customisé de pin-up


Les villes de béton et de bruit
Que je traverse sont froides ou
Trop chaudes et la nature aux
Eaux libres un conte d’enfant

Une mer balnéaire baguée tels
Des oiseaux de passage criant
Des chants de guerre replie sa
Houle et je m’écroule reculant

je n’ai pas pu je n’en puis plus
Le poulpe du soleil mange ses
Tentacules la lumière dévore
La cendre assoiffée d’ombres

Dresde Hiroshima le Vietnam
L’Algérie l’Afrique Mossoul et
L’Irak la famine Israël et Gaza
Il pleut sur mes bibliothèques


Je sais qu’on chante en prison
Et que les riches crèvent de la
Soif de l’or je voudrais être un
Végétal qui marche lentement

Seigneur ! Je ne suis pour rien
Dans tout ça mais je suis c’est
Une très grave faute à laquelle
Tu ne peux rien faire non plus

Le prochain train de comètes
Nous emportera et nous irons
Où il n’y a plus de frontières à
Passer ni de planète à polluer

Ici l’aube tend une main fraîche
A qui regarde et lui offre la fleur
Tropicale de ses cauchemars en
Suppliant la grâce d’une beauté

Ici les volcans nous ont livré les
Laves et les îles où sculpter des
Colonnes harmonieuses avant
Les tours et leur ortie de verre

Qu’on me laisse comme toi de
N’être rien issu du néant qui se
Contracte pour des cerises des
Galaxies ou un chant rarissime

(…)

L’hirondelle matinale danse à la corde sur
La ligne d’horizon le bruit enfile ses bottes
On répare les filets déchirés de la lumière
On descend sur la piste les trapèzes rêvés

Le chien qui boite dort au pied du gisant
De marbre dans la crypte de la mémoire
La rosée a le goût des étoiles le soleil va
Reboutonner les heures mal boutonnée

Seigneur puisque tu n’existes pas encore
Accorde la paix à l’estropié dont la patte
Repousse guérie pour qu’il aboie et fasse
La fête à ceux et celles qu’il accompagne

Seigneur me voici seul et j’ignore si je
Parle dans le vide mais il marche et va
De l’avant celui qui chante magnifique
Et serein dans la forêt sans âge de ses

Pensées ne craignant rien des étoiles ni
De la mort prochaine Joie sans mesures
D’être ici et maintenant dans le jeu des
Atomes et de tous les possibles du réel


Werner Lambersy,
Inédit 2019 (extrait)

PATRICK JOQUEL

tu apprends à voir l’invisible
à entendre l’inaudible
à caresser le secret
le doux secret
simplement la vie
la rotation de la planète
l’ellipse du temps
le jeu musical des sphères
la trajectoire des martinets
l’horloge végétale
et celle de tes poumons

avec la Terre
tu respires
une à la fois
les mille joies présentes

un léger sourire


Patrick Joquel
inédit avril 2020
www.patrick-joquel.com

LOUIS-RENÉ DES FORETS

TOUT CELA QUI FUT

Tout cela qui fut, qui est l’éclat d’un moment
Étrange sans doute comme les métaphores des rêves
Offre une vision meilleure du temps
Malgré tant de figures réfractaires
Qu’en dépit de plus d’un détour
La langue échoue à prendre dans ses pièges,
Mais bien loin de se tenir à distance
Elles rayonnent assez fort pour que s’exerce
Au-delà des mots leur hégémonie souveraine
Sur l’esprit qui, grâce à elles, y voit plus clair
Quand il ne se laisse pas dévoyer par la phrase
Avec ses trop beaux accords, son rituel trompeur
Auxquels s’oppose en tout la communion silencieuse,
Ce feu profond sans méditation impure.
Prendre forme est si contraire à leur nature
Qu’il ne sert à rien de leur faire violence,
Elles ne respirent librement qu’en nous-mêmes
Qui sommes là pour les protéger du dehors
Bien qu’appelés avec elles à disparaître
Il en coûte aux vivants d’avoir à se taire
Comme si, prisonniers d’une vieille méfiance,
Ils avaient perdu la mémoire du cœur,
Oublié même ce que l’on nomme l’oubli
Dont chacun a besoin pour survivre.
Non, c’est quelque chose d’autrement obscur,
La tendresse qui fait s’étrangler la voix
Le devoir de l’amitié vigilante.

Louis-René des Forêts
Poèmes de Samuel Wood,
Éditions Fata Morgana, 1988 (rééd. 2014)

SERGE RITMAN

je confine, tu finis mes finasseries
tu confines, je finis tes conneries
nous confinons, finissez nos confins
j’ouvre les fenêtres et tu m’enfermes
sans sortir, je te sors et tu m’entres
infiniment sans en finir avec nos fins
et depuis nos débuts, tu me continues

Serge Ritman
inédit
(un salut à Ghérasim Luca qui a connu des confinements terribles et a su inventer une formule qui emporte toute son oeuvre : Comment s'en sortir sans sortir, titre du DVD reprenant le récital télévisuel réalisé par Raoul Sangla en 1988)

SAINT-JOHN PERSE

XVIII

À présent laissez-moi, je vais seul.
Je sortirai, car j’ai affaire : un insecte m’attend pour traiter.
Je me fais joie
du gros œil à facettes : anguleux, imprévu, comme
le fruit du cyprès.
Ou bien j’ai une alliance avec les pierres veinées-bleu :
et vous me laissez également,
assis, dans l’amitié de mes genoux.

1908.
Saint-John Perse
Éloges Ed. Gallimarrd
Envoi Jeanine Baude

VARLAM CHALAMOV

Kioubiouma, 24 décembre 1952

Cher Boris Léonidovitch,
Votre merveilleuse lettre de cet été m’est parvenue il y a seulement une semaine. J’ai fait mille cinq cent kilomètres pour aller la chercher, par un froid de moins cinquante, et ne suis rentré chez moi qu'avant-hier soir (Chalamov a consacré un récit à l’expédition qu’il fit pour aller chercher cette lettre, Récits de la Kolyma, « La lettre » , éditions Verdier). Merci pour votre chaleur, votre bonté, votre délicatesse - en un mot pour tout ce que respire cette lettre qui m’est si précieuse […]. Je craignais tant que vous me répondiez par des éloges creux dont je n’ai pas besoin. […] Je voulais un jugement sévère, sans ménagement. Aujourd’hui encore, j’ignore si vous m’avez ménagé. Vous comprenez, je n’attendais pas vraiment de réponse. Je vous avais envoyé mes poèmes parce qu’on a toujours, dans la vie, une promesse que l’on n’a pas remplie, un acte que l’on n’a pas accompli, un projet que l’on n’a pas réalisé, et l’angoisse de regretter un jour de n’avoir pas mené à terme cette promesse, cet acte, ce projet. […]
J’écris des poèmes depuis longtemps, depuis mon enfance, mais je crois que je n’avais jamais tenté de les montrer à quelqu’un. Vous êtes le premier. Tout ce que j’avais écrit avant est irrémédiablement perdu – je ne regrette pas ces poèmes –là, mais ceux de ces dernières années. beaucoup ont disparu. Ce que je vous ai montré ne constitue peut-être qu’un dixième d’entre eux.
Plus tard, quand j’ai lu des vers d’Annenski – et ce fut pour moi une révélation immédiate – j’ai compris que ses idées poétiques étaient proches des vôtres. Vous parlez des influences. je me méfie de cette notion. Il me semble que la plupart du temps – et c’est mon cas – il ne s’agit pas d’influence, mais de la profession d’une seule et même foi. L’influence, c’est l’esclavage, tandis que le partage d’une même foi, c’est la liberté.
Je suis de tout coeur d’accord avec vous : la poésie comme fin en soi, c’est ridicule. Portant, cela grandit aussi naturellement que cela naît : un jeu dans lequel on perçoit une force, la voix d’anciens maîtres qui vous coupe le souffle, le martèlement des vers dans le cerveau, si lancinant que le soulagement ne vient que lorsqu’on les écrit, un univers qui, d’année en année, se couche toujours plus docilement sur le papier.
[…]Tant de choses en moi ont été gaspillées, tuées, jamais menées à bien…Seul ce que j’avais de plus précieux est demeuré intact tout au long de ma vie : mon amour pour ma femme, et la poésie.
Par ailleurs, je crois depuis longtemps à la force terrible de l’art, une force qui ne se mesure à aucune aune et n’en est pas moins puissante, à nulle autre comparable. […] je ne fais aucune comparaison entre les artistes. Quelque impressionnante que soit la force d’un autre poète, elle ne me réduira pas au silence. Même si ma vision est exprimée de façon mille fois plus faible, ce n’en est pas moins dit pour la première fois. Je suis heureux de comprendre, de sentir comment ce tableau a été peint, je comprends les tourments du peintre et je l’envie, je comprends son âme, je comprends comment il a parlé à la vie, et comment la vie lui a parlé.
[…] Merci pour les cinq merveilleux poèmes que vous m’avez envoyés. il y aurait beaucoup à dire sur chacun d’entre eux, ou plutôt à chacun d’entre eux. Ma femme m’a envoyé également des vers de Tsetaïeva, mais la plupart sont tirés de Verstes, que je connais bien. Quel plaisir de les lire, de les relire ! Voilà mes joies en ce moment, dans le froid du cercle polaire : les lettres de ma femme, votre lettre, et des poèmes. Les vôtres et ceux de Tsetaïeva. Bien sûr, j’avais déjà un certain nombre de vos vers tirés de L’espace terrestre et recopiés à la main, ainsi que des pages usées, annotées et recollées que le hasard m’ a envoyées ces dernières années. […]
Je vous souhaite une bonne santé, le bonheur, la paix de l’âme et de la sérénité. Je vous souhaite de conserver la force créatrice qui vous a toujours distingué comme un artiste d’une grande rigueur. […]


Varlam Chalamov
Correspondance Chalamov-Pasternak (1988), éditions Gallimard L’imaginaire, 1991
envoI Françoise Delorme




JOSÉ MUCHNIK

Poéthérapie

Déchirer la peau !
que tout sorte !

que le foie expulse
hépatiques angoisses
de sangs ancestraux

que le cœur pacifie
pulsations gaspillées
dans des fêtes pâtissières

que la prostate libère urètres
prophéties atrophiées
pissant vents et marées

Que tout sorte !

Chaire de boue coagulée
bibles impalpables
haleines jasmin

que l’angoisse grimpe à l’arbre
parfumant aisselles

que nostalgie avale des bars
jusqu’à trouver sa folle sœur

que mémoire parie tout
sur oublis ou impairs

Que tout sorte !
Se vider sans penser !

Full de pommes et poires !
Poker d’œufs !

Que tout sorte !
Quintes flush !
Brelans d’As !

Donner des cartes jusqu’à comprendre
si le jeu a un sens
ou fleurissent dans le vide
des vies au hasard.


José Muchnik
Extrait de Déchirures, à paraître aux Ed. Unicité en 2020,
traduction de l’espagnol –Argentine: Viviane Carnaut.
Version originale en espagnol Desgarros, Ed. CICCUS, 2018, Buenos Aires


SYLVIA PLATH

Lésion

La couleur afflue à cet endroit, rouge morne.
Tout le reste du corps est sans tâche, couleur perle.
C’est dans une cavité de roc que la mer vient aspirer,
un seul creux suffit à la concentrer tout entière.
De la taille d’une mouche la marque du destin rampe le long de la paroi.
Le cœur se ferme.
La mer se retire.
Les miroirs sont voilés.

Sylvia Plath
Ariel, Ed Gallimard NRF, traduction Valérie Rouzeau
Envoi Frédérique Wolf-Michaux, Extrait du spectacle Ainsi des Bribes

BENOIT CONORT

1


elle (on la dit nuit) s’étend (elle
on la dit être nuit)
elle (que l’on dit nuit) est
elle (est nuit là) un si long jour
il (elle n’a plus d’heure) là devant plus d’heure sinon le souffle
raréfiant souffle est huit là
(pourquoi pas heures) heures (donc) peut-être cinq minutes
peut-être (quoique davantage) peut être moins
minutes a

à quelle horloge
lire l’heure ?
et l’ombre des ores
mais

le matin est de
-hors
hors de là
der-
ri
-ère les murs
il y a
l’aube
là dans la prose on
la dira matin
ciel bleu aussi est
là un dehors un
oiseau chante
là trop tôt le souf
-fle poursuit
à peine pei-
ne plus tard
der-
ni
-ère mâchoire
de jour est là
nuit

marcher dans
cette nuit avancer jus-
qu’à là l’absente
voilà le
trou l’ ab-
sente
elle mène où

là où un
jour là il fait nuit


2


elle a
per
-du le souffle
s’arrête elle s’
arrête voi-
là pourquoi corps lourd
si lourd nul
ne peut
le porter

visage cire crier
pourquoi pâleur pour
cette mort
à telle heure

prononcée



Dehors
(III)


dehors est un mur
plaqué au sol

pourtant j’ose
un pied
je le pose
dehors
j’y suis là
dehors
j’y suis

où aller ?

Benoit Connort
Sortir éditions Champ Vallon 2017.
Les poèmes 1 et 2 sont extraits de « La Chambre, », le poème 3 de «Epilogue ».



ALICE NOTLEY

Si tu devais pénétrer cette forêt
où les arbres à feuilles persistantes ressemblent à des fantômes

C'est là qu'on m'a tiré dans la tête
Percée par une petite
balle au centre
de mon front ;
le filet de sang est mince –
pourquoi suis-je découverte ?

Ceci n'est absolument pas une infection que tu as contractée du fait de la
crasse dans laquelle tu vis ;
quelqu'un voulait ta mort, même nous les flics
on s'en rend compte

Couvre-moi – jeu de mots. Il me faut
une couverture véritable

Pourquoi t'a-t-on tiré dessus ? Parce que je savais ;
Il voulait me vider de la connaissance

On t'a tiré dessus dans une rue de la ville
C'était une forêt ; il n'aura pas
ce que je sais
parce qu'il
le saurait – ce qui n'est
pas savoir
qu'il ne peut pas avoir ce qu'il veut

Pourquoi t'a-t-on tiré dessus Parce que
je connais les clartés de l'apocalypse
le nom de ton âme
éclats magenta et orange dans l'obscurité des pins

Mais ces conversations ne sont pas couvertes –
tout le monde a besoin d'une couverture –
par mon assurance – j'ai bien dit attirance ?

Elle délire, dit l'infirmière
je suis trop nue pour chercher
Continuez de parler, dit-il
Vous n'y comprendrez rien non plus, dis-je

Le flic pense qu'il comprend de toute façon
héros populaire qui erre de porte à porte
et pose des questions. C'est moi qui lui en pose une,
Qui servez-vous dans le baragouin ? Baragouin ? dit-il

Il y a des baragouins de messages partout
tout le monde entend, certains sont clairs
mais masqués de partout par les clichés
des puissances invisibles, qui parlent

sans cesse. S'ils vous appellent tous à acheter
vous consommer vous-mêmes,

ils vous appellent à ne pas faire attention à nos morts imminentes
Pensent-ils qu'ils ne mourront pas ?
de mèche avec les fanatiques religieux qui inscrivent
un dieu

dans le flétrissement même des arbres
Vous ne pouvez être que dans le camp de votre
dieu à vous et les arbres
ont besoin de leur divinité à eux,

Voyez-vous l'ouragan et l'inondation
voyez-vous s'assécher les vallées et les champs ?

tout annulé panne électrique dans la
psalmodie où tu t'accroches
à ce qu'a
dit quelqu'un d'autre

Alice Notley
Le baiser de la négativité, traduction Anne Talvaz, Ed. PURH, 2014
Envoi Anne Talvaz

***

Je suis déprimée. C’est un moment intéressant : je suis vraiment déprimée.
Comment le créateur peut-il être déprimé ? Ce n’est pas moi qui ai créé la dépression ?
Comment j’ai fait ? La mélancolie qui suit la fabrication ? Et puis merde !
Ça ne figure pas dans les cosmologies officielles du peuple,
mais le singe routeur le savait, connaissait la source de ses instructions
fut jadis déprimé. C’est-à-dire que la dépression existe et, existant,
erre telle un dieu à part. Une fois que quelque chose est, elle s’appartient à elle seule,
n’est pas simplement une possibilité physiologique, chérie ; elle est devenue essentielle.
Quel est ce moment ? Ça va et ça vient à partir d’un milliard d’années, à mesure que les planètes
accèdent à leurs catastrophes ? Pourquoi devrais-je m’en réjouir ?
ou rester stoïque ? Ou indifférente ? Tout s’émiette sauf moi.
Les univers s’effondrent et je continue de danser comme une imbécile avec mes sandales,
fabriquant toujours davantage. En ce moment je ne trouve la paix sur aucune planète
sauf sur la planète qui s’appelle elle-même Dépression. Les êtres qui y vivent
sont toujours à plat ; il n’existe pas de bonheur connu qu’on puisse atteindre ;
on cultive cette tristesse et on vit. Une plante détrempée par la pluie –
pas de pollinisation au milieu des fleurs – elle grandit dans la solitude, des spores gris passent
et la hantent pour lui faire penser qu’elle doit reproduire son malheur.
S’aime-t-elle en secret ? Non. Et elle ne se compare pas aux êtres heureux.

Alice Notley
Les sandales d'Eurynomé, traduction Anne Talvaz, PURH, 2019
Envoi Anne Talvaz


LUIS MIZON

Nous ne pouvons pas posséder l’âme
ni la donner
je voudrais seulement la consoler
dans la poussière du chemin
ces gouttes de métal pareilles aux larmes
sur le visage ravagé de la lune
racontent notre vie
nous ne sommes qu’une seule goutte
lourde de murmures
une grosse goutte de lumière
parmi les éclats de la soudure
une seule goutte de silence
dans le murmure incessant de la nuit

7
Je ne veux pas posséder mon âme
je veux simplement la guérir
pour qu’elle se réveille
encore plus adultère et vivante

nuit lève ton masque de soudeur !
ta matière de lune
me fait bien rire.

(...)

De la pierre au visage
du visage à la parole
de la parole au poème
combien de tourbillons ?

chaque tourbillon
abrite d’autres tourbillons
puits de lumière qui tourne
pierre qui a besoin de chanter

(...)

Mon porte bonheur
est la rumeur immortelle de l’instant

bateau échoué sur la table de travail
vitrail explosé lumière pilée

je lave avec mes larmes
les instruments de ma peur

choses brisées choses cassées
miettes et racines incomparables
murmure en moi la rumeur
de la nuit ouverte
par le tranchant de la lumière

Luis Mizon
In Le Bateau de terre cuite Éditions Al Manar

FABIO SCOTTO

LE JASMIN JOYEUX

«L’étoile du jasmin…», me dit-elle
cette nuit toute d’étoiles
sur la mer bleue du cap

La lune, boule de neige,
roule sur le Mont Percé,
elle répand sa lumière fade
sur la pierre des gorges sèches

Quelqu’un est passé par ici
dans la nuit des temps
Quelqu’un a bu
encore nu
aux sources de toute eau
la sève maternelle

Maintenant je serre sa main
le ciel pleure, pluie soudaine,
lumière fraîche d’amour
désir d’aube

Et le jasmin crie son parfum
blanc dans le noir
promesse d’été
parole mauve
Puis la lune se lève

Fabio Scotto,
Villa Gioiosa (Makari, Sicile, 6 août 2015).
Poème paru dans la revue « Thαumα. Revue de philosophie et de poésie », 2015.
À paraître dans le volume: Fabio Scotto, La peau de l’eau. Poèmes français 1989-2019, Éditions La Passe du vent, 2020.

CLAUDINE BOHI

Que tout soit gouffre
en nous
la voix échouée de nos ancêtres
dans la gorge

que tout soit profond
et si profondément
encore
et très loin vers nous-mêmes

que tout soit bataille
douleur et cri
au déplié du sang
dans le rouge qu’on brise

et que tout soit lumière
offrande malgré tout
dans le creux la tendresse
de nos mains provisoires

***

longtemps que ce temps-là
longtemps que tu es là
dedans

dans ce dedans sans dehors

quand le dehors est rouge
quand le dehors est noir

quand tout y devient mort
et promesse de mort

quand tout y devient peur
et promesse de peur

quand tout se rabat sur toi
et ton inépuisable indéchiffrable liberté

qui n’est plus qu’un sac vide
que tu remplis tout seul

et tu le rempliras


quand chacun se rencontre soi-même
et se rêve en pleurant


puis quand chacun se rencontre soi-même
et se remet debout


Claudine Bohi
Inédits

MAHMOUD DARWICH

Si tu n’es pluie, mon amour

Sois arbre 

Rassasié de fertilité, sois arbre

Si tu n’es arbre mon amour

Sois pierre

Saturée d’humidité, sois pierre

Si tu n’es pierre mon amour

Sois lune

Dans le songe de l’aimée, sois lune

[Ainsi parla une femme
 à son fils lors de son enterrement]

* * *

Ô veilleurs ! N’êtes-vous pas lassés

De guetter la lumière dans notre sel

Et de l’incandescence de la rose dans notre blessure

N’êtes-vous pas lassés Ô veilleurs ?

* * *

Un peu de cet infini absolu bleu

Suffirait

A alléger le fardeau de ce temps-ci

Et à nettoyer la fange de ce lieu

* * *

A l’âme de descendre de sa monture

Et de marcher sur ses pieds de soie

A mes côtés, mais dans la main, tels deux amis

De longue date, qui se partagent le pain ancien

Et le verre de vin antique

Que nous traversions ensemble cette route
Ensuite nos jours emprunteront des directions différentes :

Moi, au-delà de la nature, quant à elle,

Elle choisira de s’accroupir sur un rocher élevé.

* * *

Nous nous sommes assis loin de nos destinées comme des oiseaux

Qui meublent leurs nids dans les creux des statues,

Ou dans les cheminées, ou dans les tentes qui

Furent dressées sur le chemin du prince vers la chasse.

* * *

Sur mes décombres pousse verte l’ombre,

Et le loup somnole sur la peau de ma chèvre

Il rêve comme moi, comme l’ange

Que la vie est ici... non là-bas.`

* * *
Dans l’état de siège, le temps devient espace

Pétrifié dans son éternit
é
Dans l’état de siège, l’espace devient temps

Qui a manqué son hier et son lendemain.
(...)
L’écriture, un chiot qui mord le néant

L’écriture blesse sans trace de sang.

* * *

Nos tasses de café.
Les oiseaux les arbres verts

A l’ombre bleue, le soleil gambade d’un mur

A l’autre telle une gazelle
L’eau dans les nuages à la forme illimitée dans ce qu’il nous reste

* * *

Du ciel. Et d’autres choses aux souvenirs suspendus

Révèlent que ce matin est puissant splendide,

Et que nous sommes les invités de l’éternité.

Mahmoud Darwich
In État de siège Éditions Actes Sud

ANNIE SALAGER

Rêves d’ailleurs

Aujourd’hui le fleuve s’élargit
pour murmurer un rêve, et
tandis qu’il envahit les berges
au pied des arbres inondés
endormis par l’hiver où il luit et déborde
il pousse en vagues frémissantes
sa puissance paisible vers un ailleurs,
comme nous qui vivons même rêve,

et nous pareils à eux, fleuve ou ce ciel de lune,
tant de lointains passent en nous
d’un même rêve - il nous efface peu à peu -
tant de lointains qu’au ciel léger
arrondi de douceur la lune, invisible parfois
mais si présente quand elle est tout illuminée,
ressemble au rêve de beauté
vers qui nous envoyons depuis le fleuve
de nos vies des messages d’amour

Annie Salager
Le chant du terrestre à paraître aux Ed.La Rumeur Libre en Juin 2020


SUITE DE LA FORÊT DES SIGNES

LA FORÊT DES SIGNES P 4
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Samedi 18 Avril 2020
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Effraction/ diffraction/
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Pour avoir vu un soir
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Anthologie du Printemps
des poètes,
Castor Astral, 2019

La beauté, éphéméride
poétique pour chanter la vie
,
Anthologie
Editions Bruno Doucey, 2019.

Le désir aux couleurs du poème,
anthologie éd
Bruno Doucey 2020.







cb
22/11/2010