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09/02/2011



L'invité du mois

VÉRONIQUE BREYER

BIOBIBLIOGRAPHIE ET EXTRAITS



BIOBIBLIOGRAPHIE

Plus rien ne pense aux restes, Editions Comp'act, 2006
Plus rien ne pense aux restes, Editions Comp'act, 2006
Véronique Breyer vit, écrit et enseigne en région parisienne.
Elle milite pour une démocratisation de l’enseignement des lettres, qui passe, pour elle, par une approche artistique et ouverte de l’écriture. Elle anime des ateliers d’écriture auprès de publics très divers : collégiens, lycéens, étudiants, demandeurs d’emploi…
Elle a publié un livre dans le domaine de la pédagogie (Lire et écrire au collège, Chronique Sociale) ainsi que divers articles.
Elle collabore régulièrement à La Polygraphe et a publié des textes dans diverses revues poétiques comme Action poétique, Le Nouveau Recueil, Passage d’encres.
Un premier ouvrage de poésie est paru chez Fourbis (Farrago) : lever les murs.

EXTRAITS

Penser les fins

La sortie d'un livre met son auteur dans une position particulière qui conduit à faire un retour sur le sens de son travail. Lorsque ce travail a la teneur de celui qui fut le mien au cours des huit dernières années: faire exister une vision du XXème siècle dans certains des faits majeurs qui le marquent: exodes, génocides, violences faites aux femmes, cette réflexion sur l'acte d'écrire prend une importance particulière.
La nécessité d’écrire m’est arrivée fort tard. Nécessité née de la rencontre avec un environnement et des faits frappés de dureté et de violence : le Val Fourré, et la vie là, des enfants et des adolescents, forcés à exister en un lieu où vivre n’est pas possible parce que l’avenir n’est pas permis. Lorsqu’elle s’installa, elle fut viscérale : pas possible d’échapper ; pas possible de faire sans l’engagement de tout le corps.
Vivre la violence faite aux êtres, jusqu’à l’asphyxie mentale, jusqu’au malaise physique. Ecrire en conservant cette sensation-là, immersion dans la violence réelle et symbolique. Horizon de l’écriture: faire que la violence ressentie à la lecture des textes soit un echo véritable de la violence faite aux êtres, là, au Val Fourré. Dans le passage par le corps : visée politique, tout autant que poétique. Les deux, indissociables.
A peine terminé Lever les murs, commencement d’un second recueil. Processus d’écriture différent et identique à la fois. Partir d’une expérience de la violence faite au corps : le viol. Définir « pour soi» une position philosophique et poétique au sens large. C’est-à-dire : comment écrire le viol de telle manière que cette écriture existe « en soi » : hors de contingences, individuelles ou psychologiques. Ecrire pour que chacun puisse ressentir la violence de l’acte dans la profondeur de la destruction qu’il inclut. Tenter de créer un « en soi » de la violence. Un « en soi » de la destruction. Un « en soi » dans un travail sur les mots qui ne peut exister que dans un passage par un corps, un passage singulier par le corps de celui qui écrit, mais qui en même temps soit, bien sûr, totalement détaché du corps de l’écrivain pour tenter d’être l’écriture-même du corps violenté.
Penser l'écriture du viol m'a permis de penser une position au plus près de la distance d'avec moi. Le plus près : le passage par le corps, la sensation; le plus loin : l'exigence au même moment, au même « endroit », d'une pensée de la destruction. L'écriture se situe alors dans l'écart et la co-existence de la sensation et de la pensée.
Passage de la violence dans le corps, transcription dans les mots. Tentative d’adéquation complète entre le corps et les mots, non psychologisante, alors existentielle et métaphysique : essai d’écriture d’une forme d’essence de la destruction de/dans l’être.
Partir de cette découverte pour tenter de mettre au jour les formes de la destruction et de la violence dans la seconde moitié du XX° siècle. Passage par le corps, à nouveau. Recours aux livres et aux documents sonores. Les livres : analyses historiques, ethnographiques, journalistiques, photographies. Les documents sonores : la voix, les arrêts, les « sauts », les blancs, c’est aussi le corps des rescapés, des survivants… Au sens strict du terme, il s’agit d’incorporer : donner un corps, incarner. Corps de celui qui écrit dans lequel vivent le corps de ceux qui témoignent, le corps des témoignages. Corps anéanti. Nécessité du passage et de l’anéantissement, du passage par l’anéantissement. Dans cet anéantissement, se trouvent l’écriture de la destruction, la possibilité de trouver cette écriture-là.
Traçant ce chemin, j’exprime la conception de mon travail d’écrivain : penser une position à bien des égards, limite, -qui fut la mienne- dans un dépassement par l’écriture qui lui-même permette de donner à voir et à ressentir l’intolérable destruction des êtres qui eut cours au XX° siècle, spécialement dans la seconde moitié.
Ce qui constitue mon chemin d’écriture c’est donc d’abord une sorte d’ascèse par laquelle je tente de penser le rapport que certains événements du monde entretiennent avec moi-même et comment ce rapport, profondément intime, pensé aussi loin et profondément que possible à l’intérieur de moi, va pouvoir devenir un texte qui questionnera l’état du monde, de manière poétique, c’est-à-dire aussi philosophique et politique.
Ce faisant, je considère la littérature comme un mode de pensée. Non pas limitée à des questions individuelles mais, au contraire, constituée par une forme d’éthique du dévoilement : tenter de donner à voir des événements du monde pour faire en sorte que le lecteur n’échappe pas à la vision, qu’on espère aussi insoutenable qu’ils le sont, de ces événements.
Tout au long de mon travail pour Plus rien ne pense aux restes , qui tente de creuser certains faits de l’histoire du XX° siècle dans ses violences, ses morts, son désespoir, j’ai lu et relu des pages de Gilles Deleuze. Dans Pourparlers, cette question de la « ligne » chez Foucault, ce rapport qui ne serait plus rapport au pouvoir : « C’est une ligne qui n’est pas abstraite, bien qu’elle ne forme aucun contour. Elle n’est pas plus dans la pensée que dans les choses, mais elle est partout où la pensée affronte quelque chose comme la folie, et la vie, quelque chose comme la mort. (…) Je crois que nous chevauchons de telles lignes chaque fois que nous pensons avec assez de vertige ou que nous vivons avec assez de force » (p 149-150). « Oui, cette ligne est mortelle, trop violente et trop rapide, nous entraînant dans une atmosphère irrespirable. Elle détruit toute pensée, comme la drogue à laquelle Michaux renonce. (…) Comment se sauver, se conserver tout en affrontant la ligne ? (…) il faut arriver à plier la ligne, pour constituer une zone vivable où l’on peut se loger, affronter, prendre un appui, respirer –bref, penser. Ployer la ligne pour arriver à vivre avec elle : affaire de vie ou de mort. La ligne, elle, ne cesse de se déplier à des vitesses folles, et nous, nous essayons de plier la ligne, pour constituer « les êtres lents que nous sommes », atteindre à « l’œil du cyclone », comme dit Michaux : les deux à la fois. » (p 151) « Mais c’est toujours la même question qui va de Roussel à Michaux, et constitue la poésie-philosophie : jusqu’où déplier la ligne sans tomber dans un vide irrespirable, dans la mort, et comment la plier, sans perdre contact avec elle pourtant, en constituant un dedans co-présent au dehors, applicable au dehors ? Ce sont des « pratiques ». (p 153)
Concrètement, pour écrire le génocide cambodgien il me fallait parvenir à incorporer puis à penser la mise en rapport permanente de la fausse culpabilité et de la mort. Comment mettre au jour par l’écriture dans le mécanisme génocidaire ce rapport-là, faire sentir ce qu’il détruit, de façon non intellectuelle, en essayant de se situer soi au plus près de la destruction en passant par/dans les mots qui le « disent ». Sans sombrer dans cette/la mort. La tenir à distance et y être en même temps pour l’écrire. Chancèlement et tremblement. « Affaire de vie et de mort. » Y aller. S’arrêter. Y retourner.
Mon écriture est là : à chaque fois, changer, transformer, reprendre les mots, tenter de s’approcher de plus en plus près de « la ligne de fuite ». Cela se fait petit à petit, parce qu’il est très compliqué de s’approcher de la ligne. Il faut rester en vie, être depuis la vie pour pouvoir l’écrire. Permanence de ce sentiment tout au long. Danger et nécessité. Cette ligne me tient, cette ligne est la vie, cette ligne est la mort. Mon cerveau, ma tête, mon corps, moi sur le fil. En permanence. En même temps.
Car qu'on ne s'y trompe pas : Plus rien ne pense aux restes est un recueil écrit dans la pensée des fins, non dans une complaisance à la mort. Penser les fins, faire face, c'est aller vers la vie. Le seul moyen d'y aller vraiment.

Véronique Breyer


Note : ce texte reprend certaines des réflexions publiées dans la revue Passage d'encres nº21 ( Politiques de l'écriture) ainsi que sur le site Carrefour des Ecritures (La nécessité d'écrire).

















mémoire





Rapporter l'objet qui représente son pays.

La petite fille aux tresses.

Elle montre un objet. Elle dit que, bien sûr,
il ne vient pas de son pays mais que c'est la seule chose
qu'elle a trouvée et que ça lui a plu.

Elle a dans sa main un cendrier.





















J'ai quitté mon pays à l'âge de sept ans et dix jours.
Personne ne m'a demandé mon avis.
J'ai laissé ma mère avec le monde autour.
Bien sûr, je connais d'autres gens.
A eux, je ne parle pas.

Elle pense.

C'est que, dit-elle, les enfants comme moi
n'ont pas de souvenirs.






distraction





On a mis un podium, fait venir la musique. Ecoute
immobile.
Mouvements gardés. Accord
sans voix. Porter
l'après.

Qui sort des corps posés des blocs,
tête cabossée et regard creux,
le fou qui jette et court chercher,
il danse.
















Il ne part pas
choisit la cité, le scooter
les vacances,
il tourne, il fait des cercles
comme une plaisanterie
il tourne
vient parler sourire ça va
fait des cercles




voiture


corps dispersé


voyage


lever les murs (Editions Fourbis, 1998)








Note de travail (Plus rien ne pense aux restes)

Je traverse le monde dans la forme des mots. Les mots me portent et me remplissent. Mon corps est fait de mots. Ils en délimitent les contours mais aussi le remplissent. Ce sont les mots qui font que je vis mon corps comme plein et existant. Les mots portent l’histoire. Ils portent l’histoire dans mon corps. Mon corps et l’histoire ne font qu’un. La mort même alors devient vie, vie du corps. L’histoire doit vivre dans le corps pour que vive l’histoire et que vive le corps, que le corps se transmute. Le corps est le lieu de l’histoire, au-delà des ruptures et des morts du corps-même. La mort, les morts ont traversé le corps et pourtant il demeure vivant, il se (re)trouve vivant. Il est souvenir des morts. Le corps vivant des mots est la mémoire des morts. En lui, ils existent, existent dans la vie et ils sont transmutés. Cette transmutation des morts dans le corps par les mots, c’est leur vie à eux, la mémoire. La mémoire, c’est précisément cela, la transmutation corporelle des morts opérée par les mots qui restent dans le corps. Alors la vie (re)devient possible. La vie traversée de la mort dans le corps est une vie véritable, vraie. Elle est les mots du corps. La permanence des mots, au-delà de la mort fait la vie des mots du corps de l’histoire. Le corps de l’histoire, mon corps d’histoire, ce sont les mots des morts revenus au vivant. Le corps qui prend les morts redonne la vie. Un corps vraiment vivant porte les morts dans la présence de la vie. Si on ne porte pas l’histoire, l’histoire et ses morts, c’est que son propre corps n’est pas dans la vraie vie. L’aboutissement de l’histoire, toute l’histoire, doit être le corps vivant. Rien d’autre que cela. Par l’écriture précise, c’est la transmutation des morts dans le corps, la vie de son corps. Les morts mis en mots rappelés à la vie et devenus vivants, comme la vie de son corps.








Rwanda











Je traverse un pays où les arbres sont nus, où la terre est fertile.
Dans l’eau verte qui coule, les roseaux sont des morts.


















Le long des chemins et sous la boue, il y a des hommes, des femmes et des enfants coupés.
Le tronc survit deux à trois jours.
La bouche appelle.
































Assise sur le devant de la scène, elle dit son histoire.


Survivante, sous l’évier, elle pensait son pays.

Quand elle sort elle apprend
que sa fille est tombée
dans la fosse
Elle hurlait
maman

Eteinte par les morts


Elle se lève et sa voix traverse le théâtre : ceux qui n’ont pas la force d’entendre ne sont pas dignes de l’humanité.


Elle vit.




































Pour sauver son enfant, elle l’habille comme une fille. Une fille, pense-t-elle, on ne la tuera pas.
Mais il est découvert. Sa mort est décidée : elle devra l’enterrer.
L’enfant croit que le jeu du déguisement continue. Il crie : « Maman, arrête de jouer. »

Elle a perdu son fils.










Elle creuse son ventre,
enfonce la pelle.










Folle


























« Liberté » avait une femme, deux enfants. Sur l’album de photos, il écrit l’étiquette, en lettres majuscules.
Très bas, il l’appelle :
« AUX ETOILES ETEINTES »

Il se tait, ajoute : « Pour moi, le génocide, je sors souvent. »














Suivre la tradition, c’était être discret.
Un mot est inventé : « gouhahamouka » .
Il dit : « sortir de soi ».
































Les orphelins font des dessins.

Caché dans la voiture, Fils a vu un militaire tuer son père.
Il n’a pas crié.

Il se dessine en militaire, les yeux ouverts, sans bouche.














Pour mourir, il vaut mieux se séparer. Quand on se sépare on ne voit pas l’autre mourir.





Plus rien ne pense aux restes, Editions Comp'act, 2006.

Dimanche 30 Avril 2006
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22/11/2010